Conférence-dégustation la Confrérie Saint Etienne :
Les vins « nature »
Ma troisième participation à une dégustation sous l’égide de la Confrérie Saint Etienne sera consacrée aux vins « nature », un thème que cette noble institution n’a encore que très peu abordé jusqu’ici.
Pour compenser cette lacune, Fanny Paillocher, l’actuelle major de la Confrérie Saint Etienne, a eu la bonne idée d’organiser cette conférence-dégustation sur le thème du vin « nature » en Alsace.
Même si je ne suis pas toujours réceptif au très style particulier de ces vins, je m’intéresse depuis longtemps à ces vignerons qui ont généré une nouvelle dynamique dans le vignoble alsacien…et comme je peux covoiturer avec deux autres membres du club AOC, je ne pouvais pas rater cette occasion de compléter ma culture œnophile.
Hoppla, c’est parti !
Petite marche apéritive autour des remparts de Kientzheim…
…et dans les rues de Kientzheim
Arrivée dans la cour du château
La salle est prête à accueillir les conférenciers et les invités
Pour animer cette conférence-dégustation, Fanny Paillocher a invité Jean-Pierre Rietsch et Christian Binner, deux vignerons qui ont une solide expérience des vins « nature » et Jean-Walch, un caviste qui promeut ce type de vin depuis de longues années dans son échoppe strasbourgeoise « Au Fil du Vin Libre ».
Jean Walch, Christian Binner, Jean-Pierre Rietsch et Fanny Paillocher…
…et leur auditoire composé de vignerons de journalistes et d’amateurs de vins
Première question : comment définir un « vin nature » ?
Christian Binner énumère les principales exigences pour réaliser un « vin nature » :
– des pratiques viticoles biologiques ou biodynamiques
– des raisins récoltés à la main
– un travail en cave sans intrant et sans pratiques traumatisantes pour les jus (filtration, pompages…)
– pas ou très peu de SO2 à la mise en bouteille.
Jean Walch : « c’est un vin fait avec du raisin obtenu avec un vrai travail de paysan »
Jean-Pierre Rietsch nous apprend qu’il n’aime plus trop utiliser ce terme car « il y a d’autres vignerons qui travaillent naturellement » et propose une définition un peu plus technique « c’est un vin biologique vinifié et élevé sans intrants ».
II considère d’ailleurs que l’utilisation des concepts « nature » ou « naturel » relève de l’abus de langage : « le vin ne se fait pas tout seul, il faut la main de l’homme ».
Pour lui les termes « vin vivant, vin brut, vin libre » sont plus adaptés mais au bout du compte au-delà des questions de terminologie « cette méthode n’a d’intérêt que si elle permet de produire de bons vins qui reflètent l’identité du terroir ».
Deuxième question : quel a été votre cheminement pour arriver à faire et à aimer le « vin nature » ?
Jean Walch a découvert les vins nature alors qu’il travaillait dans la restauration et très rapidement son intérêt pour ces vins s’est développé notamment lors de rencontre avec des vignerons adeptes du style.
Lorsqu’il a commencé son activité de caviste, il a progressivement initié sa clientèle à ce nouveau type de vin « un vin qui exige beaucoup de travail de la part du vigneron et une vraie prise de risque…des conditions qui font que les prix des bouteilles sont souvent assez élevés ».
Aujourd’hui il constate avec plaisir que beaucoup de jeunes amateurs s’intéressent à ce type de vin mais il sait qu’il lui reste encore un travail de pédagogie à réaliser pour « les faire sortir du simple phénomène de mode et leur former le goût pour leur faire comprendre les subtilités de ces vins ».
Christian Binner et Jean-Pierre Rietsch on suivi un itinéraire assez semblable dans leur conversion : ils ont progressivement délaissé les méthodes traditionnelles suite à des dégustations comparatives à l’aveugle organisées entre vignerons.
Christian Binner a été séduit par « ces vins pleins d’énergie et avec une grande buvabilité » mais aussi par une nouvelle idée du métier de vigneron : « l’élaboration d’un vin nature sollicite la sensibilité du vigneron et peut prendre une véritable dimension artistique ».
Jean-Pierre Rietsch fait remarquer que le changement de style de ses vins a institué un nouveau rapport avec sa clientèle : « il a fallu expliquer comment goûter ces vins et leur faire comprendre qu’un petit défaut œnologique peut apporter beaucoup de personnalité et de relief à un vin ».
Troisième question : quel avenir pour le « vin nature » en Alsace ?
La première force des vignerons qui font du « vin nature » c’est une solidarité qui leur vient d’une passion partagée « on se rencontre souvent, on échange régulièrement sur nos expériences et on s’entraide beaucoup » (Christian Binner).
Ils profitent également « d’une communication positive autour du phénomène, d’une bonne distribution auprès des cavistes et des restaurateurs et d’une présence importante sur le marché export ». (Jean-Pierre Rietsch).
Il reste le problème des réticences des instances dirigeantes de l’AOC Alsace qui « rejettent trop souvent ces vins nature pourtant conçus selon une tradition ancestrale pour reconnaître des vins ultra-artificialisés » (Christian Binner).
Cette intransigeance a donné lieu à une forme de conflit presque générationnel « entre des institutions qui se raidissent et des jeunes vignerons convaincus par les vins nature et qui ne reviendront pas en arrière…un clivage net entre tradition et nouvelles pratiques qui risque de mener inéluctablement à un divorce ». (Christian Binner).
Avec l’appel de plus en plus insistant de l’association des vins de France – notamment avec son projet de création d’une famille « VDF Naturels » – il y a un risque réel à voir de plus en plus de vignerons talentueux sortir de l’AOC Alsace…et je ne suis pas sûr que cela constitue un signe positif pour la prospérité de notre vignoble.
Bon, après cette conclusion un peu tristounette, il est temps de se remonter le moral en débouchant quelques bouteilles !
Un service de premier choix avec Serge Dubs qui a pris soin de carafer tous les vins
- VDF Le Scarabée qui bulle 2014 – Domaine Binner à Ammerschwihr : nez très engageant, notes florales et citronnées sur une fond résine/écorce assez discret, bouche ample avec un jus fruité très épanoui stimulé par une fine effervescence, finale tonique et bien salivante.
On commence la dégustation par un véritable OVNI réalisé à partir d’un assemblage de gewurztraminer (70%), de riesling (20%) et de muscat (10%) provenant du terroir classé du Kaefferkopf.
C’est un « petnat » aussi étonnant que séduisant, qui nous a régalés par sa gourmandise et sa belle buvabilité. MIAM !
- Riesling Quand le Chat n’est pas là 2012 – Domaine Rietsch à Mittelbergheim : nez complexe, notes de fleurs des prés, d’herbes à tisane et de bois de réglisse, bouche bien construite avec une attaque sèche, un centre assez souple et une finale très sapide avec des amers nobles et une fine présence tannique.
Jean-Pierre Rietsch expérimente la macération depuis 2010 « pour conserver les éléments stabilisants naturels contenus dans le raisin » et aboutir à un style de vin particulier « sans excès de puissance mais construits sur l’acidité et l’amertume » comme ce riesling un poil atypique, mais d’une parfaite buvabilité.
- Riesling Le Champ des Alouettes 2016 – Domaine Binner à Ammerschwihr : nez vif et fringant, notes de citron frais et de pierre à fusil, bouche longiligne, équilibre bien sec, finale sapide avec une présence minérale bien salivante et un sillage frais sur les agrumes et l’écorce.
Né sur des coteaux granitiques de Katzenthal, ce riesling qui s’exprime avec une belle droiture et une pureté exemplaire, nous démontre une fois encore que l’on peut élaborer des vins avec un caractère très classique en mettant en œuvre des méthodes naturelles.
- Riesling Grand Cru Wineck-Schlossberg 2017 – Domaine Binner à Ammerschwihr : nez discret et bien frais, notes d’herbe coupée et de sous-bois soutenues par une fine ligne citronnée, attaque vive avec une acidité mûre et véloce, structure longiforme, finale vibrante avec une salinité sensible et un léger grip tannique.
Ce Wineck-Schlossberg finement ciselé et empreint d’une profonde minéralité nous propose une interprétation très pure de ce grand terroir granitique de Katzenthal.
Certes, on peut être surpris (dérangé, dérouté) par cette finale très saline et légèrement tannique qui trahit le côté « nature » de cette cuvée mais en ce qui me concerne je trouve que ça lui donne une dimension supplémentaire tout en accentuant son caractère gastronomique.
- Riesling Stein 2015 – Domaine Rietsch à Mittelbergheim : nez ouvert, vif et intense avec de belles notes de citron mûr et d’épices, jus consistant en bouche avec une salinité sensible et une mâche bien gourmande, finale assez pointue, très sapide et longuement aromatique.
J’ai découvert les rieslings Stein de Jean-Pierre Rietsch avec le millésime 2007 et je dois bien reconnaître que je n’ai encore jamais été déçu par cette cuvée depuis lors.
Bien évidemment, le style de ce 2015 qui a fermenté longuement en cave (3 années), est différent de celui du 2007 (travaillé de façon un peu plus classique) mais au bout du compte le plaisir est toujours au rendez-vous. MIAM !
Les 5 premières bouteilles avec un Champ des Alouettes en magnum et un Stein en jéroboam…merci les vignerons !
- Alsace Hinterberg-Pinot 2017 – Domaine Binner à Ammerschwihr : nez discret avec une palette fruitée bien fraîche sur la cerise acidulée, bouche concentrée structurée par une acidité droite et une fine présence tannique, finale très salivante avec un sillage aromatique poivré et fumé.
Cet assemblage de pinots (1/3 noirs et 2/3 autres) qui a bénéficié d’une macération de 2 semaines en raisins entiers, se goûte de façon fort agréable tout en laissant l’assemblée de dégustateurs un peu désorientée.
Bien sûr on est un peu loin des standards alsaciens mais quand on emprunte les chemins de traverse pour produire des vins de cette qualité, il n’y vraiment rien à redire !
- Gewurztraminer Vilain petit Canard 2013 – Domaine Rietsch à Mittelbergheim : nez intense et d’une très grande complexité, notes de fleurs (jasmin, rose), de miel, de bois de réglisse et d’épices, bouche juteuse et très sapide, finale très longue et légèrement tannique avec des amers nobles et un retour aromatique réglissé et safrané.
Issue d’un assemblage de gewurztraminers provenant de deux parcelles différentes – l’une sur le Weinberg de Heiligenstein (argilo-calcaire) et l’une sur le grand cru Zotzenberg (calcaro-gréseux) – cette cuvée de macération (21 jours en grappes entières) a été élevée durant 6 mois en demi-muids.
Après quelques années de vieillissement, ce vin nous propose un vrai récital aromatique au nez avant de développer un jus profond et structuré en bouche…pas si vilain que ça ce canard !
Dernière doublette avec encore un magnum…on a bien fait de venir !
Cette conférence-dégustation animée par Fanny Paillocher en compagnie de deux vignerons et d’un caviste a été une vraie réussite : nous avons eu droit à des exposés clairs et sincères suivis par des échanges intéressants avec le public et une très belle sélection de bouteilles pour effectuer les travaux pratiques…bref, j’ai passé une bien une bien belle soirée dans la salle capitulaire du château de Kientzheim
Les vignerons nous ont énoncés les principes à respecter pour élaborer des vins nature :
– à la vigne, il faut mettre en œuvre des pratiques culturales vertueuses et surveiller régulièrement l’évolution des différentes parcelles pour intervenir rapidement en cas de problème
– au moment de la vendange, il faut de l’exigence et de la précision pour sélectionner les grappes et permettre au vigneron de disposer d’une matière première de qualité
-en cave, il faut des conditions d’hygiène parfaites et une surveillance attentive de l’évolution de chaque cuvée…même si tous s’accordent pour dire que « si les raisins sont bons, les vins se font quasiment tout seuls »
La dégustation nous a permis de découvrir 7 cuvées que le grand Serge Dubs a décrit de façon très positive même s’il nous a avoué que l’univers des vins nature ne lui était vraiment pas familier : « j’ai été étonné, voire même déstabilisé mais j’ai bu de très beaux vins »…que dire de plus !
Il faut aussi relever le fait que les vignerons ont choisi de nous présenter des vins avec un peu d’âge (de 5 à 10 ans) pour nous faire comprendre que ces cuvées sans sulfites ajoutés étaient parfaitement capable de bien se tenir dans le temps : les 7 vins révélaient des profils très fringants avec des potentiels de garde encore très conséquents.
La petite ombre au tableau est venue de l’évocation de cette rupture entre les instances traditionnelles et cette mouvance novatrice qui anime et interpelle le vignoble alsacien…on ne peut qu’espérer que le dialogue se rétablisse.
Merci à tous ceux qui ont œuvré pour nous proposer cette soirée très instructive.
Petite promenade nocturne à Kaysersberg avant de retourner à Strasbourg.
La Confrérie Saint-Etienne
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Article de Pierre Radmacher, vous pouvez le suivre sur son site Vins, Vignobles et Vignerons
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