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Dans le cadre des rencontres Schwendi, la confrérie Saint Etienne a accueilli le mardi 12 avril un débat autour des vins natures en Alsace. Christian Binner (CB), vigneron à Ammerschwihr, Jean Pierre Riestch (JPR), vigneron à Mittelbergheim et Jean Walch (JW) caviste à Strasbourg ont pu échanger sur ce sujet. Ouverte à toutes les sensibilités et aux enjeux actuels du vignoble alsacien la confrérie a permis au travers de cette conférence de faire découvrir au public cette réalité de notre production dans une ambiance apaisée et constructive. Animée par la major Fanny Paillocher et le grand maître Serge Dubs, la soirée fût suivie d’une dégustation.

Qu’est ce qu’un vin nature ?

CB : L’association des vins natures a été crée en 2005, une charte y est associée. Les vins sont produits en agriculture biologique et vendangés à la main. Les vinifications se font sans intrants et sans traitements traumatisants avec peu ou pas de filtration et un peu de soufre à la mise. La place de l’être humain est centrale dans l’élaboration du vin.

JW : La définition est simple; que du raisin. Ils procurent une autre émotion, ce sont des vins de signature avec une vraie définition du millésime. Ces vins peuvent surprendre mais ils reflètent le travail valorisé du paysan. Ces vins prennent aussi une autre signification, ils ne sont pas uniquement festifs mais aussi alimentaires, ce sont des vins sains, un atout pour la santé.

JPR : Ils sont issus de raisins bios et de levures indigènes. La nature fait le travail. C’est un terme que je n’utilise pas car je le trouve clivant. Le soufre présent y est en faible quantité mais le vin ne se fait pas tout seul ni à la vigne, ni à la cave. Cette définition peut aussi se faire par ce que ce terme « nature » exclu par opposition ; il n’est pas synthétique, chimique contraint, dénaturé ou falsifié mais bien vivant et libre. Je ne suis pas radical dans son approche (ndlr du vin nature) et toujours ouvert à la discussion. La dégustation parle ensuite et il faut que le vin ait une identité et soit bon.

Depuis quand vous êtes vous orienté vers ces vins et quels changements cela a-t-il généré ?

JW : Ce choix s’est fait il y a 25 ans, j’ai été interpellé par certains vins, il se passait quelque chose de différent. Il fallait à cette époque une forte personnalité pour le produire. Petit à petit j’ai été gagné par ce style et plus je veillis, plus ma clientèle rajeunie. Nous devons les guider, les éveiller c’est un vrai travail à faire. Au départ mes clients étaient convaincus et/ou curieux maintenant il y a un véritable effet de mode. Ces vins demandent beaucoup de rigueur, c’est une prise de risque, c’est difficile et cela a un coût. En 20 ans la clientèle a changé, certains s’en détournent également pour des vins plus cadrés car ils peuvent se lasser. Il y a un réel cheminement et les jeunes vignerons profitent de l’expérience des anciens et progressent plus vite. Ces vins ne sont pas formatés, j’y trouve de l’énergie et de la salinité. Ces vins amènent un public jeune vers le vin.

CB : Il y a un véritable lien avec l’art, ils partagent une notion de liberté. On ne se limite pas qu’au cahier des charges et les décisions se prennent en fonction du millésime et des envies. Il s’agit de s’adapter et au besoin de revendiquer en Vin de France (VDF) mais on perd alors l’AOC. Je suis très attaché à l’AOC mais j’ai quelquefois du mal à m’y reconnaître car elle est devenue artificielle par certains aspects. J’ai l’impression qu’on vole notre identité.

JW : Le consommateur fait évoluer l’offre. Il faut des rapports intelligents et constructifs, il y a de la place pour tous. 

JPR : Je viens d’un monde paysan et vigneron depuis 7 générations qui réunissait de nombreuses compétences dans une complète autonomie et avec beaucoup de travail. La spécialisation en vin s’est imposée dans les années 70 et de grands changements sont intervenus au niveau œnologique et viticole. Les conseils œnologiques et l’arrivée de la chimie dans les vignes ont profondément changé le paysage et les produits. Cette monoculture a apporté une logique étrange où tout doit être cadré et maitrisé. Il y eu en suite une vraie prise de conscience grâce la dégustation et la comparaison avec les vins issus de vignes enherbées ou bios. Ces vins présentaient plus de fond et de minéralité. Les bloggeurs et journaliste nous ont donné une bonne visibilité. Le changement de style des vins s’est accompagné d’un changement de clientèle, il y a un vrai public à l’export en Asie particulièrement. La nature est dans la nuance, le cahier des charges est souvent trop linéaire.

CB : Mon père avait mis la chimie de côté, il était un peu à part dans son village. Une rencontre avec un caviste nature à Paris a crée une véritable rupture au tournant des années 2005. Une expérience de réouverture de bouteilles après une refermentation malencontreuse a finalement montré que les vins non réouverts étaient largement meilleurs que ceux qui avaient été filtrés et stabilisés puis retirés. Souvent quand j’ai deux vins sur la table, sans donner aucun indice aux dégustateurs, la bouteille de nature se vide beaucoup plus vite, il est plus digeste. J’ai fait des erreurs mais grâce aux nombreuses rencontres, on apprend. La communauté nature échange beaucoup même si elle peut paraître un peu « étanche» par rapport au reste de la région. Notre public fait preuve d’ouverture et de curiosité.

JW : Le vin nature est un petit % de la production alsacienne mais c’est une grande famille. Il faut de la conviction. Avant je vendais peu d’Alsace dans mon magasin à Strasbourg ! Aujourd’hui on redore l’image de la région. Cela interpelle dans le vignoble. Il reste du travail pour placer à nouveau l’Alsace sur nos tables. Les jeunes vignerons bougent beaucoup.

Comment décrire l’énergie de ces vins ?

JW : C’est une réaction instantanée, une vibration, un vin qui nourrit au-delà de l’aromatique. Un vin qui ne fatigue pas, il est plus « hydratant ». C’est un vrai plus.

JPR : Certains vins, on prend une gorgée mais on y revient moins facilement, il n’y a pas de vie. Dans le vin nature on conserve cette énergie.

CB : Les consommateurs viennent pour une émotion, une surprise quand beaucoup d’autres souhaitent simplement êtres rassurés.

Comment vos clients cheminent vers le vin nature ?

JW : Il y a une véritable relation humaine, de la confiance et de l’échange. Les jeunes sont très réceptifs. Souvent les plus critiques ont une grande culture du vin plus classique.

CB : Seules les grandes bouteilles créent de l’émotion.

JPR : Une fois que l’on y a goûté on y est plus sensible et attiré par ce style.

Comment ces vins intègrent l’appellation ?

JW : Une nouvelle génération de sommelier porte haut ces vins et les font découvrir. Le consommateur se fait également son propre avis, l’image est désacralisée.

CB : L’agrément pose quelque fois problème car la méthode n’est pas adaptée au produit. Dans des séries la comparaison n’est pas toujours à leur avantage, ils dénotent. Il faudrait mieux communiquer autour de l’appellation. 

JPG : Il faudrait plus d’échange entre l’ensemble des producteurs, à l’agrément on coche simplement des cases.

Les échanges se poursuivent ensuite par une dégustation, l’ensemble des vins sont servis en carafe à l’aveugle et les participants sont invités a donner leurs commentaires et impressions.

VDF Le scarabée qui bulle 2014 Domaine Binner, Pet nat du Kafferkopf

Alsace Quand le chat n’est pas là 2012 Domaine Rietsch, macération de Riesling

Alsace Chant des allouettes 2016 Domaine Binner, riesling sur terroir granito-limoneux

Alsace Grand Cru Wineck Schlossberg Riesling 2017 Domaine Binner

Alsace lieu-dit Stein de Mittelbergheim Riesling 2015 Domaine Rietsch

Alsace lieu-dit Hinterburg de Katzenthal 2017 Domaine Binner, assemblage des trois Pinots alsaciens 

Alsace Vilain petit canard 2013, macération de Gewurztraminer

De l’avis général « nous n’étions pas perdus » les signatures des terroirs étaient bien présente et les vins présentaient de belles évolutions.