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LE HENGST…

Après l’annonce des nouvelles restrictions de déplacement qui m’ont contraint à repousser de quelques semaines la fin de mon étude de l’Altenberg de Bergheim, je n’ai eu d’autre choix que de d’attendre les « jours meilleurs » en commençant un travail sur un autre terroir classé de notre vignoble…quoi de mieux qu’une nouvelle immersion dans la culture vinique alsacienne pour passer sereinement cette nouvelle période de confinement !

Cette fois ci le choix de mon guide local n’a pas été trop compliqué puisque lors de ma visite à Eguisheim consacrée aux grands pinots noirs, j’ai fait la connaissance d’Hervé Gaschy, un vigneron dont la famille cultive des vignes sur coteau du Hengst depuis plusieurs générations et qui a accepté sans hésiter de m’aider à comprendre ce grand terroir alsacien.

Bien des choses ont déjà été écrites sur ces terroirs et un angle d’approche original et intéressant est à priori difficile à définir…mais je vais quand même essayer de relever le défi.

Je vous propose de me suivre dans mes ballades personnelles avec un peu de théorie (le socle nécessaire à une bonne compréhension), des documents photographiques et surtout des rencontres avec les vignerons qui travaillent dans ces parcelles classées.

Bon, ça je l’avais déjà dit…mais c’est pour les nouveaux.

Le Grand Cru Hengst se trouve sur le ban communal de Wintzenheim, une commune d’environ 8000 habitants, placée à l’entrée de la vallée de Munster entre Ingersheim au nord, Wettolsheim au sud et Colmar à l’Est.

Une vue à partir du château de Hohlandsbourg sur Wintzenheim, Ingersheim et Colmar et une vue à partir du coteau du Hengst sur Wintzenheim et Turckheim

La théorie la plus largement répandue sur l’origine du nom de ce village, est celle qui considère que le toponyme Wintzenheim résulte de l’association de deux mots germaniques : winzer (vigneron) et heim (village) : Wintzenheim pourrait donc se traduire tout simplement par « village du vigneron ».

L’historien Michel-Paul Urban (« Dictionnaire étymologiques des noms de lieux en Alsace ») nous présente une version différente – mais probablement plus réaliste – en nous expliquant que le nom Wintzenheim résulte de l’association d’un suffixe « heim » (classique dans la culture germanique) et d’un préfixe d’origine paléo-européenne « win » qui signifie « renflement, vallonnement » : Wintzenheim pourrait donc se traduire par « l’habitation sur le renflement ». Ceci dit, cet auteur n’exclut pas l’hypothèse d’un lien avec le nom d’un homme germanique qui se nommait « Winzo ». 

Tout compte fait, cette question qui semblait simple à priori n’a pas encore trouvé de réponse définitive…

Dès l’ère néolithique les hauteurs de Wintzenheim ont été occupées par des éleveurs-agriculteurs et par la suite ce sont des tribus d’origine celtes et germaniques qui se sont installées au pied du massif.

En 1969, Aimé Stentz à mis à jour les ruines d’un Vicus Romain sur le coteau du Hengst : édifié à la fin du premier siècle après J.C., ce gîte d’étape bordait un chemin qui permettait d’accéder au fond de la vallée, de traverser les Vosges et de rejoindre les voies de communication nord-sud situées dans la plaine et le long du Rhin. Au IVème siècle les bâtiments ont été complétés par l’édification d’une tour d’observation pour surveiller la vallée du Rhin sujette à de nombreuses invasions.

Les ruines du Vicus Romain mises à jour par Aimé Stentz dans une parcelle de vigne sur le Hengst

L’un des nombreux chemins pavés qui sillonnent le coteau du Hengst…peut être des vestiges de voies romaines ?

Faisant suite à des périodes troublées par une succession d’invasions et de migrations, l’ère carolingienne apporte une relative stabilité et permet le développement des villes et villages. C’est à cette époque (786), dans une transaction de l’abbaye bénédictine de Murbach, qu’apparaît le toponyme Wingisheim qui deviendra Wintzenheim.

Le blason du village de Wintzenheim : de sinople au lévrier d’argent accolé et bouclé d’or…un lévrier qu’on retrouve aussi sur celui de l’Abbaye de Murbach

Au cours du moyen-âge deux châteaux furent édifiés sur les hauteurs de Wintzenheim :

– le Pflixbourg construit sur une éminence rocheuse date de la fin du XIIème siècle. Il servit de cantonnement aux troupes chargées de tenir en respect d’éventuels envahisseurs en attente sur l’autre versant de la vallée. Il fut détruit vers 1440 lors d’un conflit entre les familles de Hattstatt alliée aux Ferrette et les Ribeaupierre.

La tour du Pflixbourg vue de la route des 5 châteaux.

Les murailles et la tour du Pflixbourg vus à partir du sentier qui fait le tour du château.

– le Hohlandsbourg fut construit par Siegfried von Gundolsheim en 1279, à l’initiative de la famille des Habsbourg. L’un des propriétaires les plus célèbres de ce château fut Lazare de Schwendi, un capitaine de lansquenets au service de l’Empire, qui a agrandi et renforcé ses défenses et ses fortifications. Le château a servi de lieu de garnison et permettait une surveillance de la région à 360° mais il était aussi utilisé comme prison et comme lieu d’exécution des condamnés. Il fut détruit au cours du XVIIème siècle.

Le Hohlandsbourg aujourd’hui…

…avec ses murailles impressionnantes entièrement restaurées.

Wintzenheim dépendra de la seigneurie du Hohlandsbourg jusqu’à la Révolution Française.

Le village gardera sa vocation rurale et viticole jusqu’au XIXème avant de connaître une période de profondes mutations politiques, économiques et sociales avec notamment un développement industriel conséquent dans les quartiers situés à sa périphérie.

A partir de 1871 Wintzenheim a fait partie du Reichsland Elsass-Lothringen puis est redevenue française à l’issue de la première guerre mondiale durant laquelle le village a servi de base arrière à l’armée.

Libérée du régime nazi le 2 février 1945, Wintzenheim a été épargnée par les destructions massives qui ont frappé durement d’autres villages autour de Colmar.

De nos jours, la viticulture représente toujours une part importante de l’économie de Wintzenheim, mais l’essentiel de sa population travaille dans le secteur tertiaire des entreprises environnantes.

La célèbre maison Josmeyer fait partie de la dizaine de domaines viticoles établis à Wintzenheim

Wintzenheim fait partie des 188 communes du Parc Naturel Régional des Ballons des Vosges et à ce titre elle offre évidemment de nombreuses possibilités de randonnées dans le massif vosgien avec notamment des circuits pédestres autour des châteaux.

Promenade autour du château du Pflixbourg en cours de restauration mais interdit aux visiteurs.

Le Hohlandsbourg restauré est devenu l’un des hauts lieux touristiques de la région

On peut y effectuer un parcours de visite ludique et interactif, mais aussi profiter d’une vue imprenable sur la plaine d’Alsace.

Au niveau architectural Wintzenheim possède quelques édifices religieux qui méritent d’être cités comme l’église Saint Laurent, la chapelle Notre Dame du Bon Secours, la Synagogue et la chapelle des Bois qui se trouve au sommet du coteau du Hengst.

L’église Saint Laurent et la synagogue construite en 1752

La chapelle Notre Dame du Bon Secours

La chapelle Saint Joseph aussi appelée chapelle des bois et les nombreux points de recueillement qui l’entourent.

Le promeneur pourra aussi flâner dans les rues du village pour y admirer quelques belles maisons vigneronnes à colombages ainsi que l’Hôtel de Ville établi dans un bâtiment qui fût considéré comme un château – la Thurnburg – qui daterait du XIIIème siècle.

La rue principale de Wintzenheim et l’Hôtel de Ville

La place Charles De Gaulle.

L’amateur de bonnes choses pourra trouver de quoi combler sa faim et sa soif en rendant visite à l’un des vignerons du village ou en s’attablant au restaurant « Au Bon Coin » qui propose une carte des vins capable de satisfaire l’œnophile le plus exigeant.

Le Bon Coin de Wintzenheim : prix de la plus belle carte des vins par la R.V.F. en 2018

Le Grand Cru Hengst occupe une superficie de 53,02 hectares sur un coteau exposé sud/sud-est, situé au pied du Hohlandsberg, le sommet vosgien où est érigée la forteresse du Hohlandsbourg.

La partie sud du Hengst dominée par le Hohlandsberg

L’intégralité de la superficie du Hengst fait partie du ban viticole de Wintzenheim mais la plupart de ses parcelles se trouvent au dessus du village de Wettolsheim.

Wettolsheim au pied du coteau du Hengst

Les parcelles de vignes sont plantées sur le versant est de la colline du Rotenberg à une altitude entre 270 et 360 mètres.

La partie centrale du Hengst forme un d’amphithéâtre avec des pentes variables : très fortes au milieu du coteau, plus faibles vers le sommet et adoucies à la base.

Une parcelle pentue dans la zone médiale du Hengst et des vignes vers le bas du Hengst où la pente est bien moins forte

L’amphithéâtre du Hengst

Comme souvent, le nom de ce Grand Cru est d’origine germanique et sa traduction est sans équivoque : « Hengst » se traduit par « cheval entier » ou « étalon ».

En revanche, l’origine de ce nom reste un peu mystérieuse : certains pensent qu’il est inspiré par la force de ce terroir, d’autres y voient plutôt une référence au caractère fougueux des vins qui y naissent.

Protégé des flux d’ouest par les sommets les plus élevés du massif vosgien avec notamment le Hohneck qui culmine à 1228 mètres, le coteau du Hengst bénéficie d’un climat très sec et assez peu venté.

Sur le plan géologique, Serge Dubs (« Les Grands Crus d’Alsace » – 2002) classe ce Grand Cru dans la famille des terroirs marno-calcaires.

Le document de référence du CIVA (« Les unités de paysage et les sols du vignoble alsacien »), décrit le sol du Hengst de la manière suivante : ce sont des « sols bruns calcaires et gréseux sur conglomérat de l’Oligocène ».

Le site internet du domaine Josmeyer nous apporte encore quelques précisions supplémentaires sur la nature de ce terroir : « Ces formations conglomératiques sont puissantes et laissent s’intercaler des marnes rouges, brunes, vertes ou beiges ».

Le sol du Hengst dans une parcelle à mi-coteau et une vigne à la limite ouest du Hengst dans le secteur où se trouve « l’antre du dragon ».

Au niveau physique, le sol du Hengst est assez complexe : on y trouve des « limons sableux et limons sablo-argileux légèrement caillouteux (galets et cailloux anguleux calcaires) » (CIVA « Les unités de paysage et les sols du vignoble alsacien »), « tous les intermédiaires existent entre les éléments grossiers et les sédiments fins » (site du domaine Josmeyer).

Ces sols ont une bonne aptitude au réchauffement avec une réserve hydrique moyenne et un PH qui varie entre 7,8 et 8,3.

Sables, galets et pierres calcaires dans un rang de vignes du Hengst.

Sur le plan historique, Wintzenheim qui fait partie du secteur identifié comme étant le berceau de la viticulture en Alsace, a vu se développer son vignoble dès l’époque romaine.

Comme nous l’avons déjà évoqué plus haut, la théorie largement répandue sur l’origine du nom « Wintzenheim » nous confirme que la vocation viticole de ce village ne date pas d’hier.

Le terroir du Hengst est mentionné pour la première fois au cours du IX° siècle dans un document concernant une donation à l’abbaye de Murbach.

Par la suite, ce sont les seigneur du Hohlandsbourg – Lazare de Schwendi notamment – et le bailli de Kaysersberg qui s’en partagent les droits féodaux jusqu’à la révolution française.

Depuis ce temps, la grande réputation de ce terroir a incité de nombreux nobles et bourgeois de Colmar à y exploiter d’importantes concessions.

Avec le développement de l’industrie du textile, les citoyens fortunés de la région commencent à délaisser la vigne devenue peu rentable et ce sont les ouvriers vignerons qui prennent la relève pour continuer à produire des raisins et du vin.

Si bien qu’on peut dire aujourd’hui, que beaucoup de vignerons-récoltants présents sur le Hengst sont les descendants des tâcherons d’autrefois.

Actuellement, il y a plus de 30 vignerons qui exploitent des parcelles de vignes sur le grand cru, ils sont originaires de Wintzenheim, mais aussi de villages voisins comme Wettolsheim, Eguisheim ou Turckheim.

Ce terroir a été classé Grand Cru par le décret du 23 novembre 1983.

Au niveau de la viticulture, le Hengst est considéré comme un terroir « magique » par les vignerons car comme le disent Isabelle et Céline Meyer du domaine Josmeyer « Le Hengst a des sols et des sous-sols qui résistent à tout. Il se sort avec panache de toutes les situations climatiques ».

Millésime après millésime, le coteau du Hengst produit des raisins de qualité avec un rendement satisfaisant…bref c’est un terroir idéal pour la viticulture.

Le gewurztraminer est le cépage le plus planté sur le Hengst, suivi par le pinot gris et le riesling mais le pinot noir, qui est en passe d’obtenir sa place dans le cahier de charges de ce Grand Cru, commence à y gagner du terrain…et ce n’est pas étonnant puisque, comme nous le rappelle Isabelle Meyer, « les sols du Hengst sont comparables à ceux qui entourent la cité viticole de Gevrey-Chambertin ».

Le regretté François Barmès avait énoncé clairement les principes de viticulture qu’il appliquait sur ce Grand Cru : « Dans le Hengst, l’enherbement des parcelles permet de réguler la fertilité du sol, la taille raccourcie concentre les substances dans le fruit et la longue maturation, favorisée par une floraison précoce et une arrière-saison relativement sèche, aboutit à un juste équilibre entre acidité et moelleux »

Ma promenade sur le coteau du Hengst (au cours du printemps 2021) m’a effectivement permis de constater que la plupart des parcelles étaient enherbées, certaines à 100% et d’autres qui avaient subi un labour peu profond, un rang sur deux.

L’herbe est très présente sur le coteau du Hengst et les labours sont souvent très superficiels

Les vins du Hengst sont puissants, complexes et denses, avec une finale marquée par une acidité mûre et une légère astringence tannique. Ils sont profondément vineux et présentent des équilibres très aboutis entre opulence et structure.

« Dans leur jeunesse, les vins du Hengst possèdent une nervosité enjouée qui laisse place, après cinq ans, à une structure plus apaisée » (Romain Iltis)

Ce sont des vins de grande garde qui gagnent en expression avec l’âge : «  ils s’affinent très bien avec le temps et gagnent beaucoup en vieillissant. Le côté minéral sur le Hengst est discret, fin, il n’a pas ce côté exubérant que l’on retrouve vers Ribeauvillé mais plutôt cette complexité d’arômes présente sur le Brand ou le Sommerberg. » (Jean-Luc Meyer)

Les rieslings s’expriment avec une certaine timidité durant les deux premières années et peuvent laisser une certaine impression d’austérité mais par la suite on va y retrouver une « opulence presque méditerranéenne » (Serge Dubs) équilibrée par une acidité assez fougueuse et une « trame tannique noble » (Serge Dubs).

Les pinots gris sont volumineux et riches mais sans lourdeur grâce à cette charpente acide/tannique qu’on retrouve sur les vins issus du Hengst.

Les gewurztraminers sont « envoûtants et captivants » (Serge Dubs) avec des arômes floraux (lys, rose, jasmin), exotiques (mangue, litchi) et épicés (safran, cardamome, coriandre). En bouche, ils présentent un équilibre harmonieux entre rondeur veloutée et astringence noble.

Les pinots noirs qui vont bientôt pouvoir être revendiqués en tant que Grand Cru, produisent d’ores et déjà de très grands vins rouges qui commencent à être reconnus au niveau national et international mais ce n’est que le début de l’histoire…

Un chemin pavé et un abri pour vignerons ou promeneurs sur le coteau du Hengst.

…SELON HERVE GASCHY

Il aura fallu bien du temps pour organiser cette rencontre avec Hervé Gaschy et terminer ce travail sur le Grand Cru Hengst mais nous avons fini par y arriver…ma route vers les 51 se poursuit donc du côté de Wintzenheim en compagnie d’un vigneron établi à Eguisheim dans un domaine familial qui exploite 9 hectares de vignes dont une parcelle de 1 hectare d’un seul tenant sur le Hengst.

L’entrée du domaine Gaschy à Eguisheim

Hervé Gaschy a rejoint son domaine familial en 2000 après une solide formation en viticulture, en œnologie (D.N.O. obtenu en Bourgogne) et en gestion (Master de gestion obtenu dans le Bordelais).

Depuis plus de 20 ans, il travaille avec compétence et conviction pour poursuivre l’œuvre de son père et de son grand-père avec le souci de faire prospérer son entreprise en produisant des vins de très grande qualité.

Pour démarrer notre entrevue, Hervé me propose de profiter d’une météo favorable pour aller faire quelques pas sur le coteau du Hengst et parler in-situ de la nature de ce grand terroir de Wintzenheim.

Comment définiriez-vous ce terroir ?

Pour Hervé Gaschy, le Hengst est un terroir qui présente « une belle unité géologique avec des sols marno-calcaires plus ou moins profonds ».

Des pierres calcaires nombreuses sur une parcelle de vignes à replanter sur le Hengst

Au niveau physique le sol du Hengst se distingue par « une structure granuleuse assez aérée » qui contrairement à d’autres sols assez lourds – comme celui de l’Eichberg par exemple – ne devient jamais trop collant en cas d’humidité ni trop dur en cas de sécheresse : « ce sont des sols globalement assez faciles à travailler ».

Hervé Gaschy qui teste le sol après une séquence pluvieuse

Si le coteau du Hengst possède un sol avec des caractéristiques assez homogènes, sa configuration géographique permet cependant de différencier 3 zones distinctes :

– un secteur « très pentu et orienté au sud c’est un terroir solaire » situé au dessus du village de Wettolsheim, 

– un grand secteur entre Wintzenheim et Wettolsheim « orienté est/sud-est, moins pentu et très venté, c’est un terroir très polyvalent »,

– un petite zone « en forme d’amphithéâtre fermé, situé en altitude, c’est un terroir frais et tardif…idéal pour le riesling »

Le secteur du Hengst au dessus de Wettolsheim avec des pentes très fortes sur les parties les plus hautes.

Le secteur du Hengst au dessus de Wintzenheim et le petit secteur légèrement enclavé du Hengst (au dessus du virage)

Le domaine Gaschy exploite une grande parcelle dans ce grand secteur central très favorable à la culture de la vigne : des sols profonds et toujours assez meubles avec des conditions climatologiques qui permettent« à tous les cépages de réussir à atteindre leur maturité optimale…même le chasselas qui occupait une grande partie de notre parcelle jusque dans les années 70 ».

Les vignes du haut de cette grande parcelle ont été arrachées cette année parce que la densité de plantation n’était plus conforme avec le cahier de charges du Grand Cru « nous projetons de replanter des rieslings des pinots gris et des pinots noirs à une densité de plus de 6000 pieds à l’hectare ».

Pour l’heure le sol de cette parcelle va bénéficier d’un semis de légumineuses pour développer sa fertilité et d’un semis de plantes à pivot (des radis) pour améliorer sa structure.

La parcelle du domaine Gaschy qui va être replantée en 2023

Quels sont les cépages les mieux adaptés ?

En ce qui concerne cette question, la réponse d’Hervé Gaschy confirme les conclusions issues de ma recherche documentaire : « le Hengst est un terroir qui permet à tous les cépages de réussir ».

Dans la partie basse de sa grande parcelle de un hectare sur le Hengst, le domaine Gaschy exploite une vigne de pinot gris « un cépage qui aime les sols un peu plus profonds qu’on trouve souvent en bas de coteau »

La vigne de pinot gris sur le Hengst avec le mur en pierre sèche reconstruit par Hervé Gaschy en février/mars 2022

Au dessus des rangs de pinots gris, on trouve une vigne de pinots noirs plantée en 2004 « un cépage qui gagne de plus en plus de terrain sur le Hengst »…et dont la superficie va être augmentée lorsque la partie haute de la parcelle sera replantée.

Les pinots noirs du domaine Gaschy

Après l’arrachage des vignes de la partie supérieure de leur parcelle sur le Hengst, le domaine Gaschy ne produira plus de riesling sur ce Grand Cru dans les prochaines années : « nous allons commercialiser progressivement les millésimes en stock dans notre cave car ce grand cépage alsacien mérite totalement sa place sur ce terroir »

Même si c’est actuellement le cépage le plus planté sur ce terroir, il n’y a pas de gewurztraminer Hengst dans la cave des Gaschy, un choix personnel assumé par Hervé qui avoue « préférer le style des gewurztraminers produits sur leur belle parcelle du Pfersigberg ».

Le seul cépage qui peut poser problème est le muscat car « le Hengst est un terroir trop précoce pour ce cépage qui risque d’être victime de coulure ».

Quels caractères spécifiques ce terroir transmet-il aux vins ?

Pour Hervé Gaschy les vins du Hengst se reconnaissent surtout en bouche « ils sont denses et concentrés, un peu bruts de décoffrage dans leur jeunesse, ils trouvent leur élégance et leur harmonie avec l’âge…le Hengst est un terroir qui génère des vins de temps ».

Pour ce qui est de l’identification des marqueurs aromatiques propres au Hengst, Hervé Gaschy est plus réservé car il estime que la formation des arômes d’un vin résulte d’une combinaison multifactorielle : « il y a le terroir mais aussi le cépage, le millésime et la patte du vigneron ».

Ses vins du Hengst – comme la plupart des autres cuvées d’ailleurs – s’expriment toujours avec une certaine retenue : « je n’ai pas forcément de goût pour la communication et je ne suis jamais trop démonstratif…en ce sens on peut dire que mes vins me ressemblent ».

Mais comme j’ai un peu insisté, Hervé Gaschy me donne quand même quelques indications à propos de ses rieslings et pinots gris du Hengst : « il y a des notes fumées qu’on retrouve très fréquemment sur nos rieslings et nos pinots gris ».

En ce qui concerne les pinots noirs, il est un peu plus loquace : « ce sont des vins concentrés avec de la mâche…des vins qui remplissent la bouche »…et même si avec l’expérience, il a choisi de vinifier ses cuvées de rouge « avec des extractions plus douces pour gagner en élégance tout en gardant la densité et la longueur en bouche »

« C’est d’ailleurs cette densité des jus qu’on retrouve sur tous les pinots noirs du Hengst qui a été l’argument majeur dans notre dossier pour demander le classement en Grand Cru des pinots noirs du Hengst ».

Y-a-t’il dans votre mémoire de dégustateur des vins qui vous ont aidé à vous faire une image de ce que devait être ce Grand Cru ?

Même s’il a eu l’occasion de participer à de nombreuses séances de dégustation lors de sa formation – notamment du côté de la Bourgogne – Hervé Gaschy regrette que son métier de vigneron ne lui laisse plus assez de temps pour étoffer sa culture vinique en dégustant des vins venus d’autres vignobles.

Ceci dit, il a pu déguster un grand nombre de millésimes du Clos des Epeneaux de Pommard « grâce à un copain de promotion avec qui j’ai préparé mon D.N.O. à Dijon et qui est devenu régisseur dans ce domaine bourguignon ». Mais plus que de représenter un modèle à copier, ces grands pinots noirs de la Côte d’Or l’ont fait évoluer dans son travail sur ses vins rouges « j’ai essayé de contrôler la puissance naturelle des jus du Hengst en pratiquant des extractions plus douces et plus légères pour obtenir davantage de finesse dans les vins ».

Pour ce qui est des vins effervescents sa référence absolue est une cuvée de Champagne Salon 1997 pour « sa finesse, son élégance, la qualité de sa présence en bouche avec une longueur incroyable ».

Mais contrairement à ce que je supposais, ce n’est pas cette bouteille qui lui a donné l’idée de produire sa grande cuvée de crémant millésimé qui bénéficie d’un élevage sur lattes de 7 années « cette cuvée est le fruit d’un oubli en cave d’une série de magnums de 2004, un oubli qui a montré l’intérêt de la durée d’élevage sur lattes dans l’élaboration d’un crémant »…un bel exemple de sérendipité !

Du côté des vins d’Alsace, l’une des plus grandes émotions d’Hervé Gaschy a été provoqiuée par une bouteille de Gewurztraminer SGN 1989 de G. Schueller « un vin très concentré mais parfaitement équilibré…l’image idéale d’un grand liquoreux alsacien ».

Comment voyez-vous l’avenir de ce terroir ?

Hervé Gaschy voit l’avenir du Hengst avec une grande confiance « c’est un Grand Cru porté par de grands noms du vignoble alsacien comme Josmeyer, Zind-Humbrecht, Albert Mann, Barmès-Buecher…ce qui fait qu’il est bien connu de tous les amateurs de grands vins d’Alsace ».

De plus, la notoriété de ce Grand Cru « va être boostée par la reconnaissance du pinot noir comme cépage autorisé dans l’appellation Grand Cru Hengst ».

Même si décret officiel a été publié quelques jours après notre entrevue (le 9 mai 2022), Hervé Gaschy regrettait que ce dossier ait mis tellement d’années à aboutir : « les discussions sur l’intégration du pinot noir dans l’appellation Grand Cru Hengst ont débuté en 2003 au niveau de notre Gestion Locale ».

Cette longue attente a conduit de nombreux vignerons « à capitaliser sur des noms de cuvées qui ont eu le temps de se faire connaître et reconnaître », il va donc falloir que ces domaines reprennent leur travail de communication sur cette nouvelle appellation.

Les vins du domaine : quelle conception ?

Pour Hervé Gaschy son travail de vigneron consiste à « mettre ses pieds de vigne dans les meilleures conditions possible pour leur permettre de produire des raisins de qualité capables de donner une image authentique de leur terroir ».

Les 9 hectares de vignes du domaine sont cultivés en BIO (label « vin biologique » obtenu en 2012) avec le souci de respecter le pied de vigne et les sols : « nous taillons la vigne en respectant le flux de sève et nous faisons beaucoup de travaux à la main pour éviter le tassement des sols par des machines ».

Les parcelles sont enherbées avec des plantes sélectionnées et le travail du sol reste très superficiel : griffage léger, fauchage ou passage au rouleau pour coucher les herbes.

Les haies qui existent déjà à proximité des différentes parcelles vont être complétées par la plantation d’arbustes, notamment au niveau de la future nouvelle vigne sur le Hengst.

La parcelle de pinots gris sur le Hengst

La haie qui surplombe la parcelle arrachée du Hengst va être complétée par une rangée d’arbustes dans la partie basse.

Les vendanges sont exclusivement manuelles et sont programmées en fonction de la maturité des raisins : « pour les vins tranquilles nous récoltons les raisins à maturité physiologique et pour les crémants nous récoltons les raisins lorsque leur concentration en sucres permet une production de vins entre 10,5 et 11 degrés ».

En cave, Hervé Gaschy considère que son travail consiste « à donner aux jus les moyens de révéler ce qu’il y a dans le raisin pour produire des vins qui expriment leur terroir ».

Les vins sont élaborés avec un minimum d’interventions et d’intrants.

Les élevages sur lies se font dans des contenants adaptés aux cépages.

Les pinots sont élevés sous bois : en foudres et en fûts de 300 litres pour les blancs, en foudre et en pièces bourguignonnes pour les rouges.

Les autres cépages sont élevés en cuves inox

La partie de la cave du domaine Gaschy réservée aux foudres…

…la partie inox et la partie fûts.

Le domaine Gaschy commercialise une large gamme de vins avec notamment des cuvées sur les 2 Grands Crus d’Eguisheim (Eichberg et Pfersigberg) et sur le Hengst. 

Aujourd’hui encore, plus de 50% de la production est achetée par une clientèle particulière très fidèle et ce n’est que très récemment qu’Hervé Gaschy a entrepris des démarches pour solliciter une clientèle professionnelle.

L’entrée du caveau du domaine Gaschy

Et dans le verre ça donne quoi ?

Comme souvent au printemps, je suis victime d’allergies aux pollens et certains jours le traitement médicamenteux n’est pas aussi efficace qu’il le devrait…c’est malheureusement le cas aujourd’hui ce qui fait que je vais être obligé de déguster avec une acuité olfactive légèrement altérée.

Comme l’exercice va me demander une grande concentration, j’ai demandé à Hervé de limiter le nombre de bouteilles prévues pour la dégustation en choisissant un vin jeune et un vin plus évolué sur chaque cépage.

C’est parti pour la dégustation et on commence par les rieslings 

  • Riesling Grand Cru Hengst 2019 : expression olfactive discrète avec une palette raffinée, très prometteuse, attaque souple et suave puis développement d’un jus dense et mâchu, finale puissante et tonique relevée par un léger grip tannique.

Si l’aromatique subtile et délicate de ce premier riesling peut s’expliquer aussi bien par l’influence du style Gaschy que par celle d’un terroir qui génère des vins assez discrets dans leur jeunesse, l’impression de force que dégage sa présence en bouche ne laisse aucun doute…malgré sa jeunesse, ce vin porte déjà la marque du Hengst.

  • Riesling Grand Cru Hengst 2004 : expression olfactive délicate sur le miel de fleurs et le citron mûr, bouche ample et bien concentrée, finale fraîche et légèrement granuleuse avec un beau sillage sur les épices douces.

Ce riesling 2004 a été le premier riesling vinifié par Hervé Gaschy sur ce Grand Cru et malgré un millésime assez compliqué, il a réussi a faire naître cette très belle cuvée étonnante de jeunesse.

C’est un vin très complet qui se déguste remarquablement bien aujourd’hui mais qui semble encore loin de sa phase de déclin…on y sent autant la force du Hengst que la patte experte d’un vigneron prometteur.

  • Riesling Grand Cru Hengst 2005 : expression olfactive ouverte et riche, notes de raisin sec, de miel et d’épices, bouche opulente avec un équilibre très rond, finale sapide stimulée par un petit grip tannique, longue persistance aromatique sur le raisin confit.

Ce riesling un peu atypique par son équilibre assez rondouillard, a été produit à partir de « raisins qui ont été desséchés par le vent, ce qui a concentré les jus et réduit le volume ».

Après plus de 15 années sous verre, ce riesling a gardé son caractère généreux mais l’empreinte minérale du Hengst très présente en finale, lui confère une très belle buvabilité…c’est un grand vin de temps qu’on sent encore capable de tenir quelques belles années en cave.

Après les rieslings nous poursuivons la dégustation par deux pinots noirs provenant du Hengst.

  • Pinot Noir Cru d’Exception 2018 : nez très charmeur avec des notes de fruits rouges bien mûrs, de vanille et d’épices douces, bouche très gourmande avec une attaque fraîche, un jus fruité bien concentré, une trame tannique veloutée, une finale parfaitement digeste avec une longue persistance épicée et légèrement fumée.

Cette cuvée réalisée avec 30% de vendange entière a subi une macération longue – « avec des pigeages réguliers au début, puis sans pigeages jusqu’à ce que la qualité des tanins me convienne » – avant d’être élevée durant 23 mois en pièces bourguignonnes non neuves.

On sent dès aujourd’hui que nous avons là un très grand pinot noir alsacien, charnu, structuré et déjà très agréable à déguster…une cuvée de plus qui montre que le pinot noir mérite amplement son statut de Grand Cru sur le Hengst.

  • Pinot Noir Cru d’Exception 2011 : nez pur et séduisant avec de belles notes de cerises à l’eau de vie sur un fond épices douces et fumée, jus plein et équilibré en bouche, tanins fondants, finale suave, presque gouleyante, avec une belle longueur fruitée et épicée.

Cette cuvée de pinot noir a été vinifiée à partir d’une vendange égrappée à 100% et entonnée après « un travail d’extraction un peu plus poussée ». Après plus de 10 ans de vieillissement, ce superbe rouge alsacien se goûte remarquablement bien en révélant une gourmandise et une plénitude que je n’ai retrouvées que très rarement sur des pinots noirs de ce millésime…même sur les grands terroirs bourguignons !

Notre petit tour d’horizon sur ce Grand Cru se termine avec 3 cuvées de pinot gris.

  • Pinot Gris Grand Cru Hengst 2019 : expression olfactive assez discrète avec de beaux arômes de fruits jaunes frais, bouche ample avec une matière opulente « boostée » par une fine trame tannique qui stimule la salivation, finale sapide avec un long sillage sur le raisin sec et les épices sur un fond légèrement fumé.

Avec son aromatique encore très réservés et sa matière qui développe des éléments structurels très puissants, cette cuvée de pinot gris représente fidèlement le caractère du Hengst tel que le conçoit Hervé Gaschy…même si elle semble encore loin de son apogée.

  • Pinot Gris Grand Cru Hengst 2000 : nez assez discret qui laisse deviner une palette fraîche et bien complexe, bouche riche et volumineuse avec une acidité fondue et une aromatique très suave, finale sur le noisette grillée et légèrement fumée avec un grip tannique léger mais persistant.

Le millésime 2000 est le premier qu’Hervé Gaschy a vinifié seul au domaine et ce superbe pinot gris encore plein de vie et d’énergie, bien marqué par son terroir et sûrement encore loin de sa phase de déclin, confirme que ce jeune vigneron avait déjà bien compris la nature intime de ce Grand Cru.

  • Pinot Gris Grand Cru Hengst SGN 2008 : nez mûr et très expressif avec une palette complexe sur l’abricot confit, les épices douces et une fine touche fumée, bouche très puissante avec un jus consistant soutenu par une acidité très solide, finale bien sapide avec une persistance aromatique d’une longueur impressionnante.

Réalisée à partir d’un tri très sévère qui a permis la récolte de grappes ou de grains botrytisés, cette cuvée exceptionnelle nous prouve qu’en Alsace on peu mettre des gouttes d’éternité en bouteille. MIAM !

Pour conclure, un petit bilan sur cette nouvelle expérience de visite approfondie d’un terroir Grand Cru (attention je vais encore me répéter…)

J’ai renforcé ma conviction qu’une bonne compréhension d’un vin passe évidemment par la dégustation mais s’enrichit considérablement si on fait la démarche d’aller sur place, sentir l’énergie des terroirs où il naît et rencontrer les gens qui le conçoivent…je ne boirai plus jamais des Hengst comme avant !

Le Hengst est un terroir dont la qualité est reconnue depuis très longtemps puisque les historiens ont pu repérer son nom dans des textes qui datent du IX° siècle.

Depuis ce temps, notre vignoble a connu bien des bouleversements mais le coteau du Hengst a gardé sa belle réputation si bien qu’aujourd’hui encore, ce terroir est mis en valeur par quelques très grandes maisons et les vins qui y naissent sont prisés par tous les amateurs de Grands Crus alsaciens.

Les crus du Hengst pourraient se définir par 3 G :

– la gustation, car ces vins définissent vraiment leur identité en bouche où ils font sentir leur texture granuleuse si particulière ainsi que leur aromatique beaucoup plus expressive au palais,

– la garde, car ces vins prennent toute leur dimension après 5 à 10 ans de vieillissement tout en étant capables de rester très longtemps sur leur plateau de maturité optimale,

– la gastronomie, car ces vins proposent des complexités aromatiques, des équilibres et des textures qui permettent de tenter un très grand nombre d’associations gustatives

Hervé Gaschy est un vigneron discret qui envisage son métier avec sagesse et humilité : son rôle consiste à mettre la vigne dans les meilleures conditions possibles pour lui permettre de produire des raisins de grande qualité capables de générer de grands vins avec un minimum d’interventions en cave.

« J’accompagne, j’observe et je surveille l’évolution du raisin au vin ».

Il insiste particulièrement sur la nécessité de prendre du temps pour suivre le vigne en passant très souvent dans ses parcelles et en privilégiant le travail à la main : « la main de l’homme est primordiale pour élaborer des vins qui vont favoriser le partage et la convivialité ».

Les vins du domaine sont de vraies petites pépites viniques avec des crus du Hengst qui trouvent des équilibres parfaits entre puissance et élégance et une offre de cuvées d’entrée de gamme avec un rapport Q/P tout à fait exceptionnel…bref, voilà encore un nom qui va faire partie de ma longue liste des domaines incontournables du vignoble alsacien. 

Comme toujours, mon travail sur ce Grand Cru fut une expérience agréable et enrichissante qui m’a donné envie de poursuivre cette longue quête qui me permet de comprendre de mieux en mieux la complexité et la richesse du vignoble alsacien.

Mille mercis à Hervé Gaschy d’avoir accepté de partager sa passion et son savoir avec moi.

Article de Pierre Radmacher, vous pouvez le suivre sur son site Vins, Vignobles et Vignerons

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