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Une quarantaine de personnes, dont une dizaine de domaines, se sont déplacés au Koïfhus de Colmar pour assister à la conférence « Le numérique et le vin, comment booster le vignoble », organisée par le groupement INviNOTech Alsace. Les intervenants : Arnaud Tarry, Wine Cluster, Mathieu Lasne-Villoing, sommelierparticulier.com, Nathalie Bringnier, Twistaroma, Nadia Lelandais, experte en stratégie, Coralie Haller, EM Strasbourg, ont intégré INviNOTech Alsace pour soutenir l’innovation et la création de valeur dans le vignoble alsacien par le numérique.

Pour les intervenants, le numérique est en fait un prétexte pour parler d’innovation ou comment les nouvelles technologies peuvent aider à renouveler la filière vin, l’aider à renouer avec l’international, la croissance et la performance ? Quels sont les enjeux du numérique pour le vin ? Comment les acteurs du vin se sont appropriés ces nouvelles technologies ?

Réalité et enjeux.

Aujourd’hui tout se passe bien pour les vins français. La France est au premier rang mondial de la production de vin avec 46 millions d’hectolitres produits par an, ce qui représente plus de 16 % du vin de la planète et plus de 600 000 emplois en France. Le vin est l’emblème de la France, il est reconnu à travers le monde et est le deuxième secteur exportateur de notre pays.

Par ces constatations on pourrait penser que tout va bien, mais attention, la France n’est plus le premier consommateur de vins de la planète, elle est sur la seconde marche du podium. En effet la consommation de vins en France baisse tous les ans, on est passé de 100 l/an/habitant bu dans les années 70-80, à 58 l/an/habitant en 2000, pour atteindre aujourd’hui une consommation de 48 l/an/habitant. Cette baisse s’explique surtout par la diminution des consommateurs réguliers (qui boivent une fois par jour) qui sont passés de 51 % en 1980 à 13 % de nos jours ; d’ailleurs la tranche des moins de 35 ans n’est plus présente. Les usages de consommation ont évolué de la consommation domestique vers une consommation modérée et de qualité.

A ce rythme, la France ne sera plus sur le podium de la consommation en 2025. On pourrait se dire, ce n’est pas grave vu qu’on exporte nos vins. Attention, les consommateurs de demain sont sur d’autres continents que l’Europe et auront d’autres habitudes de consommation que la France.

Par exemple les Etats Unis, qui ont déjà détrôné la France et qui resteront sur le podium en 2025 avec 90 millions de consommateurs réguliers dont 32 % auront entre 20 et 25 ans. Ces nouveaux consommateurs cherchent des reconnaissances de goûts par des vins faciles ; pour eux le vin est une boisson parmi tant d’autres, s’ils ne sont pas séduits par le vin ils passeront à une autre boisson.

En Chine le vin correspond à 80 % de la consommation, essentiellement en vin rouge, mais elle cherche des vins à moins de 5 €.

Récapitulons, 270 millions hl/an sont produits sur la planète, dont 46 millions hl/an en France, 240 millions hl/an sont consommés dans le monde, il y a une surproduction de vins de 30 millions hectolitres, si les nouveaux consommateurs se positionnent sur un autre vignoble et/ou d’autres types de productions, la situation pour le vignoble français peut très vite bouger.

Le paradoxe des Vins d’Alsace.

La production annuelle de 1,1 millions d’hectolitres du vignoble alsacien est une goutte d’eau dans la production mondiale.

Les vins d’Alsace sont d’une qualité exceptionnelle, les processus de vinification et de contrôle des normes de qualités sont très élevés, les domaines respectent ces normes d’AOC et parfois s’imposent des contraintes supplémentaires, ce qui entraine un prix de fabrication élevé. Or 70 % de la production alsacienne est vendue en France et en grandes surfaces, des marchés très contraignants sur les prix de vente.

Dans ce contexte de concurrence, de coûts de production élevés et de pression de la distribution sur les prix de vente, la marge de manœuvre est faible.

A cela se rajoute les petites récoltes et une réputation faible, la réputation des vins d’Alsace a un indice de 3, 17 quand Bordeaux est à 50.

Comment faire pour rester compétitif ?

Deux stratégies possibles.

Soit on produit moins cher.

Soit on exploite les notions de terroir, d’authenticité et on monte le niveau de réputation des vins d’Alsace. La réputation est un mécanisme qui aide à augmenter le prix de vente en incitant les gens à acheter nos vins, c’est une équation entre image et vente.

Comment se travaille la réputation pour attirer plus de consommateurs et vendre à des prix plus élevés ?

Il existe une matrice avec 8 leviers pour créer et pousser la réputation, seul 3 ont été abordées.

1)        L’AOC est déjà un élément de la réputation. Elle envoie une promesse de norme de qualité, d’expérience et de reconnaissance à travers le monde. Il faut travailler sur l’AOC sans être trop complexe car la complexité met de la distance avec le consommateur. Pour simplifier et donner de la visibilité, il faut faire des trios gagnants, par exemple starifier le Pinot Noir, le Crémant et le Riesling.

2)       Travailler sur la réputation en simplifiant l’accès aux informations pour attirer plus facilement les consommateurs à venir déguster les vins.

3)       Un autre levier de reconnaissance et d’image est l’oenotourisme pour créer de l’expérience auprès des clients. En 2017 l’Alsace est la troisième région oenotouristique française derrière la Champagne et Bordeaux, elle a capté 16,9 % des oenotouristes. Mais ce levier n’est pas toujours bien utilisé dans la région ; utilisé correctement il permet d’augmenté les prix jusqu’à 15 % ou jusqu’à 5 € dans un rayon de 120km.

Le numérique peut apporter une aide en développant de nouvelles stratégies de réputations autour des territoires attractifs par l’oenotourisme, la mise en avant de l’Alsace, de la route des vins, du vignoble et la production des Grands Vins Blancs, en généralisant la promotion et la vente directe en ligne, en créant un marketing expérientiel ou comment créer de l’expérience et de la reconnaissance par internet et en donnant la priorité au collaboratif par la mutualisation des ressources.

Il faut valoriser l’expérience utilisateur du net en lui racontant des histoires, ce qui réduit la distance entre lui et le producteur.

Mais le vignoble d’Alsace n’est pas sensibilisé à la digitalisation. Une étude sur le sujet du digital menée de janvier à mars 2017, sur 230 entreprises viticoles alsaciennes réparties en 83 % de vignerons indépendants, 12 % de coopératives et 5 % des négociants, a fait ressortir que 10 % des entreprises n’ont pas de site internet. Sur les 90 % restants 40 %des sites ne sont qu’en français et seul 9 % sont traduits en 4 ou plus de langues. Ce qui pose la question de la visibilité des vins d’Alsace sur les marchés internationaux.

De plus 58 % des sites ne donnent pas la possibilité d’acheter en ligne, ce qui nuit au positionnement des vins d’Alsace à l’international.

Le design et le format des sites web sont importants pour donner envie de venir sur les domaines, créer une pré-expérience en ligne et déclencher une intention d’achat. Or 86 % des sites n’ont pas de vidéos en ligne et 88 % n’ont pas de photos hors listes de produits qui pourraient créer de l’expérience. A l’heure du mobile, seule 50% des sites sont adaptés à ce format pourtant très prisé des consommateurs et impactant sur le désir de visiter un domaine tout comme sur l’intention d’achat ; l’usage des smartphones rapproche les gens par l’accès immédiat aux informations et la possibilité de noter et faire des remarques sur le vin, dans ce cas on peut mêler l’humain au digital.

En conclusion le potentiel des sites web est faiblement exploité en Alsace, surtout comme levier à l’internationalisation, les visiteurs ne trouvent pas dans la majorité des cas les informations dans leur langue et l’expérience de pré-visite pour donner envie d’acheter est quasi inexistante.

Le constat sur l’usage des réseaux sociaux est pire. Une étude a été menée avec le même panel d’exploitations que celle sur les sites internet. La présence des domaines alsaciens sur les réseaux sociaux est faible, 85 % n’ont pas youtube (fort créateur de marketing expérientiel), 5.9 % sont sur instagram et 19,8 % ont un compte twitter mais n’y sont pas très actifs, les comptes les plus actifs sont ceux de grosses structures comme les caves coopératives.

Certes il y a une grosse présence sur facebook, mais 65 % des pages ont moins de 5 posts par mois. De plus les informations postées sont sur les bonnes pratiques viti-vinicoles, les accords mets-vins et les activités oenotouristiques, ces publications ne sont pas déclencheuses de l’acte d’achat.

En Alsace les réseaux sociaux sont perçu et utilisé comme un levier d’image et pas du tout comme un levier de commercialisation.

Comment améliorer la situation ?

Pour commencer il faut connaitre les consommateurs de demain, aller les chercher et leur faire découvrir les vins sans qu’ils puissent tous venir faire de l’oenotourisme.

Vu l’enjeu, les pratiques individuelles ne suffiront pas pour relever le défi international de ces nouveaux consommateurs qui attendent qu’on leur explique les choses de manière simple, rapide et accessible.

Pour les intervenants une façon d’y arriver est de faire du collaboratif, mutualiser les ressources et trouver des nouvelles pratiques pour moderniser la filière. Il faut avoir un projet durable pour vendre plus loin, mieux et plus cher, en créant une chaine de valeurs durables de l’innovation à la commercialisation en passant par la production, en faisant des partenariats d’excellence au niveau national et international et en créant un système ouvert avec le client au centre pour partager les datas sur ses modes de consommation.

Le numérique aidera à éduquer le consommateur, facilitera l’approche du vin et rapprochera le consommateur du vignoble en constituant des interactions entre tous les acteurs de la filière : producteurs, chercheurs, transporteurs, institutionnel, finances, fournisseurs, start up, agitateurs (stars, sommeliers, bloggeurs)…

Une conférence de plus dont le mot d’ordre pour les Vins d’Alsace est collaborer.