L’Association des Viticulteurs d’Alsace (AVA) s’impose comme l’un des piliers fondamentaux du secteur viticole alsacien. Présidée par Gilles Ehrhart, elle joue un rôle essentiel dans la gestion, la défense et la représentation des producteurs de vin de la région. L’AVA se distingue par sa capacité à accompagner les viticulteurs dans leurs démarches techniques et administratives, un soutien précieux dans un environnement souvent complexe et en constante évolution. Au fil des ans, l’AVA est le trait d’union entre les producteurs, les consommateurs et les instances gouvernementales, veillant à ce que les voix des viticulteurs soient entendues et prises en compte.
La proximité comme philosophie
Dans son bureau, Gilles Ehrhart a fait le choix délibéré de travailler au milieu de son équipe. « J’ai un bureau à l’étage, mais j’ai choisi de travailler ici, au milieu de tout le monde », affirme-t-il, mettant en lumière sa volonté de rester accessible. Cette proximité favorise une communication fluide et directe avec ses collaborateurs, renforçant ainsi la cohésion au sein de l’association. L’AVA compte aujourd’hui une équipe de 14 salariés, répartis en plusieurs pôles avec des missions spécifiques. Chacun de ces pôles contribue à la dynamique générale de l’association, permettant à l’AVA d’opérer efficacement et de répondre aux besoins variés de ses membres.
Une mission au service des viticulteurs
L’AVA a pour mission principale de défendre les intérêts de tous les acteurs de la viticulture alsacienne : qu’il s’agisse de coopérateurs, de vendeurs de raisin, de vignerons récoltants ou de négociants. Avec près de 3200 adhérents, l’AVA demeure un acteur incontournable dans le paysage viticole de la région. Bien que la cotisation syndicale soit volontaire, le taux d’adhésion frôle les 99 %, témoignant d’un engagement fort au sein de la profession. En plus de défendre les producteurs, l’AVA est responsable de la gestion des appellations d’origine contrôlées (AOC) pour les vins d’Alsace, essentielles pour garantir la qualité et l’authenticité des produits. Ces appellations sont cruciales pour la renommée des vins alsaciens et leur obtention est soumise à une cotisation obligatoire. « Si tu ne cotises pas, tu ne peux pas prétendre à l’appellation », rappelle Gilles Ehrhart, soulignant l’importance de cette démarche pour maintenir des standards de qualité élevés. La gestion des AOC requiert une rigueur sans faille : cela implique l’élaboration de cahiers des charges, la protection des dénominations, ainsi que le suivi des évolutions législatives. « Les sujets sont vastes », note Gilles, en soulignant l’importance des commissions et des réunions régulières qui rythment le fonctionnement de l’association.
Une transparence exemplaire
Un des principes fondamentaux de l’AVA est la transparence. Chaque décision prise en conseil d’administration est partagée avec les membres via des comptes rendus détaillés. « Aujourd’hui, chaque adhérent reçoit un relevé des décisions directement dans sa boîte mail », explique Gilles Ehrhart. Cette transparence permet à chaque producteur d’être informé en temps réel des orientations de l’association et d’interagir avec ses représentants. Le dialogue est encouragé à tous les niveaux. Les idées des producteurs sont transmises par les syndicats locaux, puis discutées au sein des instances dirigeantes. « Nous n’avons jamais refusé de débattre d’une position divergente », affirme Gilles, qui met un point d’honneur à valoriser la diversité des points de vue dans le processus décisionnel. Cette approche collaborative contribue à la force et à l’unité de l’association, permettant de faire face ensemble aux défis du secteur.
Qui est Gilles Ehrhart ?
Issu d’une famille de viticulteurs, Gilles a repris les exploitations des deux côtés de sa famille. Du côté paternel, son grand-père, ancien combattant, était un vigneron indépendant à Wettolsheim, tandis que sa famille maternelle était membre fondateur d’une coopérative viticole à Westhalten. Malgré cet héritage, Gilles n’a pas immédiatement suivi la voie familiale. Son enfance, bien qu’imprégnée par le travail dans les vignes, le conduisit à envisager une carrière différente. « La viticulture n’a pas toujours été mon objectif ou ma passion », confie-t-il. Témoin des exigences et des sacrifices liés au métier de ses parents, il choisit d’abord de devenir électricien, obtenant un CAP et un BEP dans ce domaine. Toutefois, lorsque son père rencontre des problèmes de santé, Gilles interrompt ses études pour soutenir l’exploitation familiale. Ce retour à la terre agit comme un véritable déclic : « Je me suis rendu compte que ça me plaisait énormément, que j’adorais ce que je faisais », se souvient-il. Dès lors, sa vocation pour la viticulture se révèle. Il décide de se former professionnellement en passant un BPREA (Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole) au lycée agricole de Rouffach, renforçant ainsi ses compétences techniques et son réseau au sein de la profession.
Un engagement syndical inébranlable
La rencontre de Gilles Ehrhart avec David Herrscher, une figure influente du milieu, marque un tournant dans son parcours. Introduit aux Jeunes Agriculteurs (JA), Gilles y découvre le militantisme syndical et la défense des intérêtsde sa profession. Rapidement, il gravit les échelons pour devenir trésorier adjoint puis président de la section viticole des JA. « La voix des jeunes, c’est la voix de l’avenir », affirme-t-il, soulignant l’importance de préparer la relève. Pour lui, transmettre aux jeunes viticulteurs non seulement un savoir-faire, mais aussi une structure viable et rentable est essentiel. Cet engagement l’amène à siéger dans diverses instances agricoles, telles que la SAFER et la Chambre d’Agriculture, où il participe activement aux décisions stratégiques touchant le monde viticole. En tant que porte-parole des viticulteurs alsaciens, il se trouve au cœur des débats et des enjeux majeurs qui affectent la profession, qu’il s’agisse de la notoriété des vins alsaciens ou de la gestion des terroirs.
Le millésime 2024 sous le signe des extrêmes
Gilles Ehrhart nous confirme que la récolte 2024 enregistre une baisse des rendements par rapport à une année normale. Bien que les estimations soient encore préliminaires, les premiers chiffres indiquent une production d’environ 900 000 hectolitres, un chiffre qui devra être confirmé par les données officielles du CIVA (Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace). Exploité sur un domaine s’étendant sur 30 kilomètres, Gilles souligne que les rendements varient grandement d’une parcelle à l’autre, en fonction des types de sols et de la répartition de la pluviométrie. « Bien que l’année ait été généreuse en eau, tous les sols n’ont pas réagi de la même manière », observe-t-il. Malgré cette baisse, il reste positif sur la qualité des vins de ce millésime. « Les premières dégustations sont encourageantes », confie-t-il, mettant en avant une belle acidité et des niveaux d’alcool modérés, en phase avec les attentes des consommateurs d’aujourd’hui. Ces caractéristiques, souvent prisées, pourraient bien positionner les vins alsaciens sur le marché national et international.
Les défis du climat
L’impact des conditions climatiques sur la viticulture alsacienne ne peut être sous-estimé. Gilles Ehrhart évoque les défis importants liés au dérèglement climatique, notant que les viticulteurs doivent s’adapter à des conditions de plus en plus imprévisibles. Les épisodes de chaleur intense, de sécheresse suivie d’orages violents, et la pression croissante des maladies, comme le mildiou, compliquent la gestion des vignes. « Quand il y a un orage, ce n’est plus 30 mm, c’est 60 », illustre-t-il, mettant en exergue la nécessité de redoubler d’efforts pour protéger les récoltes. Cette situation impose aux viticulteurs de recourir à des traitements phytosanitaires plus fréquents pour éviter que les maladies ne compromettent leurs efforts. Il souligne que cette réalité engendre des coûts supplémentaires et un travail accru, et pose des questions sur la durabilité de certaines pratiques.
La renaissance du Gewurztraminer
Au fil de notre entretien, Gilles Ehrhart aborde également le Gewurztraminer, cépage emblématique de la région. Bien qu’il ait tendance à privilégier le Riesling ces dernières années, il commence à entrevoir une opportunité de redynamiser le Gewurztraminer. « Ce cépage offre une palette aromatique incroyable », déclare-t-il, soulignant que les producteurs alsaciens commencent à proposer des versions plus sèches et complexes. Cependant, le Gewurztraminer fait face à des défis, notamment en matière de perception. « Il est souvent associé à une production trop généreuse », admet-il, mettant en lumière la nécessité de mieux gérer les volumes et de redonner au cépage la place qu’il mérite dans le paysage viticole. Cette démarche passe par une sensibilisation des consommateurs et des professionnels aux caractéristiques uniques et aux potentialités de ce vin.
L’essor du Crémant d’Alsace
Parallèlement, Gilles Ehrhart considère le Crémant d’Alsace comme une grande opportunité pour l’avenir de la viticulture régionale. Avec plus de 40 millions de bouteilles produites chaque année, le Crémant a le potentiel de devenir un levier économique majeur pour les producteurs. « Nous avons un véritable trésor à promouvoir », affirme-t-il, précisant que le Crémant d’Alsace est souvent sous-estimé et doit être positionné comme un produit de qualité. Il insiste sur la nécessité d’améliorer l’image du Crémant, souvent perçu comme un vin « bon marché ». « Le Crémant d’Alsace ne doit pas être cantonné à une image de produit accessible à bas prix », martèle-t-il. Les viticulteurs doivent se concentrer sur la qualité et mieux promouvoir leurs produits pour maintenir leur position sur le marché. Cette ambition passe par des campagnes de communication ciblées et une collaboration renforcée entre les producteurs pour mettre en avant les spécificités et les atouts de leur Crémant. En effet, une meilleure visibilité pourrait ouvrir de nouvelles perspectives et attirer des segments de consommateurs de plus en plus exigeants.
La taxation poids lourds « R-Pass »
Gilles Ehrhart s’est exprimé avec force sur les problématiques liées à la taxation du transit routier en Alsace et ses impacts sur l’économie locale. Il reconnaît que la majorité des camions traversant la région sont essentiels pour l’économie, notamment pour les viticulteurs. « Environ 80 à 85 % des camions qui circulent en Alsace ne se contentent pas de transiter ; ils s’arrêtent pour charger ou décharger des marchandises », précise-t-il. Cependant, il critique les mesures prises, notamment en Allemagne, qui n’ont pas abouti aux résultats escomptés. Les taxes destinées à réduire la pollution ont plutôt accru les coûts pour les entreprises locales. Il tire également la sonnette d’alarme sur la hausse des prix pour les consommateurs alsaciens. « Avec ces nouvelles taxes, il sera bientôt moins cher de transporter un produit d’un autre bout de la France que de consommer un produit local », déplore-t-il. Cette situation pourrait alourdir les coûts de production, affectant ainsi les prix des produits locaux, notamment le vin. Il met en garde contre l’impact potentiel sur l’emploi, soulignant que les entreprises pourraient réduire leurs investissements et leurs effectifs pour compenser ces hausses de coûts. Malgré ses critiques, il affirme que l’AVA n’est pas contre une régulation du transit, mais appelle à des solutions mieux adaptées à la réalité économique alsacienne, comme l’introduction d’une vignette pour les camions de transit. « Nous ne voulons pas de subventions ou de détaxes. Nous souhaitons des solutions intelligentes pour permettre à l’économie alsacienne de prospérer sans être étouffée par des taxes excessives », conclut-il.
Vers une collaboration renforcée
Pour Gilles Ehrhart, l’avenir de la viticulture alsacienne repose sur une coopération étroite entre les producteurs, les décideurs et les consommateurs. Ce partenariat est essentiel pour naviguer dans un paysage en constante évolution, marqué par les défis climatiques et économiques. Il souligne l’importance de la mobilisation des acteurs du secteur, tant au niveau local qu’international, pour défendre les intérêts des viticulteurs et promouvoir la richesse des terroirs alsaciens. Il est crucial que les producteurs alsaciens s’unissent pour faire entendre leur voix face aux défis croissants du marché. En développant des synergies, en partageant les meilleures pratiques et en innovant, ils pourront non seulement préserver leur patrimoine viticole, mais aussi s’assurer un avenir durable.