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Depuis l’adoption en avril 2025 d’une loi autorisant, sous conditions, la pulvérisation de produits de biocontrôle, biologiques et à faible risque par drone, une partie du vignoble alsacien (notamment les parcelles en pente de plus de 20 %) peut désormais bénéficier de cette technologie de précision. Mais derrière cet envol technologique se cache une réalité plus contrastée, entre enthousiasme, freins réglementaires et adaptations du terrain.

L’Alsace, terrain idéal pour l’essor du drone viticole

Riche d’un patrimoine viticole millénaire, l’Alsace compte environ 15 500 hectares de vignes, dont près de 3 000 hectares en pente. “C’est précisément pour ces terrains que les drones prennent tout leur sens“, explique Stéphane Chaise, acteur engagé du secteur depuis près de 15 ans. “Dès 2015, nous avions commencé à travailler sur des solutions de traitement aérien avec Jacques Cattin. La loi Gallim de 2018 a permis les premiers essais, et aujourd’hui, nous sortons de la phase expérimentale“.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2024, près de 3 000 hectares ont été traités en Suisse à l’aide de drones, totalisant 1 800 heures de vol et 35 000 décollages, avec une précision au centimètre près. Le modèle suisse, déjà éprouvé, inspire fortement l’Alsace : “L’objectif est de transposer ici une technologie éprouvée, avec tout son savoir-faire et sa traçabilité”.

Entre précision technique et bénéfices environnementaux

Sur le terrain, les professionnels du drone agricole sont unanimes : les avantages sont nombreux. Arnaud Sohler, dirigeant de la société alsacienne Aero Vision, connaît bien le vignoble : “Fils de viticulteur, j’ai grandi dans les vignes d’Itterswiller. Je me suis lancé dans le drone en 2016 pour allier ma passion pour l’agriculture à la technologie“.
“Sur les terrains escarpés, on réduit les risques d’accident, on applique le produit de manière ciblée, et on limite la dérive, ce qui est bon pour la biodiversité et la santé humaine“.
Même constat chez Frédéric Lance, directeur de Digital Roots France : “Le drone est un outil agricole au service de la vigne“.
Côté technique, les modèles sont impressionnants. Le DJI Agras T50, utilisé notamment par Digital Roots, pèse jusqu’à 102 kg en charge. “Il peut embarquer jusqu’à 50 litres de produit et traiter à un débit de 24 litres/minute“, détaille Alex Milius, pilote. Grâce à un système GNSS et des antennes RTK, le drone atteint une précision de 5 cm, essentielle pour une pulvérisation de qualité.

Une réglementation encore floue et lente

Même si la loi autorise l’épandage aérien par drone, les décrets d’application ne sont pas encore publiés. “C’est extrêmement frustrant. Le matériel est prêt, les pilotes sont formés, mais les textes ne sont pas encore là. J’attends ce moment depuis dix ans“, confie Arnaud Sohler. Il critique la lenteur administrative : “Mon étude de risque SORA devait durer six mois, cela fait un an et demi que j’attends“.
Même situation pour Stéphane Chaise : “En Suisse, nos partenaires volent déjà. En France, on attend toujours. Et paradoxalement, des drones suisses homologués peuvent déjà voler chez nous”. Une absurdité réglementairerévélatrice des lenteurs françaises face à l’innovation.

Formation, certification, logistique : un écosystème à structurer

L’usage du drone agricole ne s’improvise pas. L’encadrement impose aux exploitants ou prestataires :

  • un Certiphyto (certificat individuel phytosanitaire),

  • un agrément d’entreprise,

  • et des machines homologuées, souvent après une SORA (Specific Operations Risk Assessment).

Chez Digital Roots, la stratégie est double : proposer des prestations locales et former les futurs utilisateurs. “On forme les télépilotes, on fournit les drones, on assure le SAV. Nous sommes organisme de formation Qualiopi, ce qui facilite la prise en charge », explique Frédéric Lance.
Un équipement complet coûte environ 50 000 euros (formation, machine, batteries, démarches). “Ce n’est pas plus cher qu’un tracteur et un pulvérisateur, mais bien plus rentable sur terrain difficile. Et surtout, le traitement le plus coûteux, c’est celui qu’on n’a pas pu faire », souligne Stéphane Chaise.

Une nouvelle ère pour la viticulture ?

Malgré les obstacles, l’optimisme reste fort. “On ne fait pas du drone, on fait de la viticulture. Le drone est un outil, pas une fin“, insiste Stéphane Chaise. De plus en plus de domaines s’y intéressent : certains veulent s’équiper, d’autres préfèrent des prestataires, surtout pour les petites parcelles ou les coopératives.
À terme, le drone pourrait aller bien au-delà de la pulvérisation : semis, surveillance, cartographie, lutte biologique…Les applications sont nombreuses et déjà en test sur d’autres cultures (maïs, sapins de Noël, vergers).

Le drone viticole devient un allié essentiel des vignerons alsaciens, surtout en zones escarpées. Si le cadre légal français reste à la traîne, les initiatives locales s’organisent : formations, prestations, accompagnement.
On entre dans une nouvelle ère“, conclut Stéphane Chaise. “Le sceptique n’a qu’à monter la pente avec un pulvérisateur sur le dos. Il comprendra vite l’intérêt de cette révolution discrète, mais redoutablement efficace.