Skip to main content

Pour la 88ème édition de la Foire aux Vins de Ribeauvillé, Romain Iltis, sommelier à la Villa Lalique à Wingen sur Moder, a animé la traditionnelle dégustation commentée, sur un thème qui lui tient à coeur «Les Rouges d’Alsace». L’image traditionnelle du vin rouge alsacien est celle d’un vin léger et fruité, mais de plus en plus de viticulteurs redécouvrent des parcelles dans de très beaux coteaux avec un potentiel de production de beaux rouges. Romain pense que les viticulteurs renouent avec un passé très riche en vin rouge, une évolution et une révolution sont en marche dans le vignoble alsacien pour produire de vrais rouges d’Alsace. Il a rapporté qu’en sommellerie, ils disent des rouges d’Alsace «c’est un rouge comme un Bourgogne», mais lui aimerait remplacer ce discours par «ce sont des rouges qui retransmettent la personnalité alsacienne».

Il ne s’est pas contenté de commenter les six Pinots Noirs qu’il a choisi pour la dégustation, il a décrit les difficultés que peuvent rencontrer les viticulteurs pour produire les rouges d’Alsace, il a expliqué comment ressentir les terroirs et les millésimes dans un vin.

Romain a débuté son intervention par un petit historique. Le Pinot Noir est un cépage connu depuis l’époque romaine et historiquement basé en Bourgogne, mais s’est développé dans tout l’est de la France, en Allemagne, Autriche, en Oregon et même en Nouvelle Zélande. Il fait partie des dix cépages les plus plantés au monde et représente 10 % du vignoble d’Alsace. Petite particularité, le Pinot Noir est le père de plusieurs cépages comme le Chardonnay, le Pinot Gris, le Pinot Blanc, le Pinot Meunier, le Gamay et l’Aligoté.

Le sommelier est persuadé que la saisonnalité des vins est importante ; en hiver les vins denses et capiteux sont plus appréciés, alors qu’en été les vins légers et gourmands ont la préférence des clients. C’est pourquoi il a débuté sa dégustation par un Pinot Noir 2015 du Domaine Thierry Schneider de Ribeauvillé. C’est un vin gourmand, léger mais qui ne manque pas de matière, fruité. Romain a choisit ce vin pour la mise en bouche et précise qu’il ne faut pas dénigrer cette production qui fait partie intégrante du vignoble et apporte un plaisir immédiat.

Il a donné sa définition du Rouge d’Alsace : c’est un vin élaboré avec des petits rendements, le plus souvent sur les coteaux et qui présente de la profondeur et une présence du terroir. Il est bien conscient que cette production est un défi pour les viticulteurs car le Pinot Noir ne supporte pas la médiocrité et demande plus d’exigence que les autres cépages. Un rendement trop élevé donnera un vin sans matière, un rendement trop bas produira un vin trop puissant. La maturité des raisins quant à elle donnera des vins avec une sensation de verdeur dans le cas d’une faible maturité et des raisins trop mûrs donneront des vins alcooleux, trop lourds. A tout cela s’ajoute l’élevage en barrique : si le vin est trop aéré il développera des notes de vinaigre (irrécupérable), pas assez aéré il aura des notes de réduit.

Romain pense qu’on peut simplifier la description de la multitude des terroirs par deux profils, deux familles de vins, qui se distinguent par leur structure acide. Il parle de vins verticaux issus de terroirs cristallins (granit, schiste, grès), avec une expression fruitée exacerbée qui est conservée avec l’âge, tout en évoluant vers le fruit confit, compoté, voire passerillé et une acidité droite centrée au milieu de la bouche, verticale. L’Osmose 2013 du Domaine Jean Sipp de Ribeauvillé illustre bien cette famille. Issu d’un terroir granitique sur des marnes bleues, il a un nez puissant avec des arômes de fruits cuits et des notes d’épices (poivre, réglisse), en bouche c’est une explosion de fruits mûrs avec une acidité centrale (verticale).

La seconde famille est représentée par les vins horizontaux, issus des terroirs sédimentaires (marne, calcaire, argile), avec une expression fruitée dans la jeunesse évoluant avec le temps vers des arômes d’humus, d’épices et de sous bois. Ils sont plus denses et plus larges dans leur perception acide, ils englobent la bouche. Pour expliquer les vins horizontaux, Romain a choisi le Muhlforst Pinot Noir 2013 du Domaine Mader à Hunawihr. Il a sélectionné le même millésime que l’Osmose pour bien marquer les esprits sur la notion de verticalité et d’horizontalité des vins.

Avec le Rouge comme Renard Pinot Noir 2012 du Domaine Henry Fuchs de Ribeauvillé, Romain a introduit la notion de minéralité, qui est utilisée à tour de bras mais qu’il a clarifiée : la notion de minéralité est l’expression salée dans un vin (salivation). Ce rouge est issu du Grand Cru Kirchberg (marno-calcarogrésseux), preuve qu’il existe des parcelles de Pinot Noir au coeur des coteaux. Il présente un nez puissant aux arômes de torréfaction (élevage), de myrtilles, la bouche est tanique, saline, sphérique, l’acidité englobe l’ensemble de la bouche. C’est un grand vin car les arômes se développent, l’envie de retourner au vin est persistante.

Avec les deux derniers vins, le sommelier a tenu à démontrer l’importance du millésime, surtout pour les vignobles du nord, sur la production et la perception des vins. Pour cela il a sélectionné le Grossberg Pinot Noir 2008 du Domaine Sipp Louis à Ribeauvillé. Son nez est évolué avec des arômes de fruits compotés et des touches balsamiques, la bouche a une acidité large, horizontale, ce vin est moins épais car 2008 est un millésime froid. La fraîcheur apporte de la digestibilité aux vins, ces vins sont moins amples et moins puissants, ils se recentrent dans les années froides. En comparaison, il a choisi le Pinot Noir de Rorschwihr 2003 du Domaine Rolly-Gassmann. 2003 est un grand millésime de rouges, un millésime chaud qui apporte une sensation sphérique et très grasse au vin. Ce Pinot Noir a un nez typique d’une année chaude avec des arômes compotés de fruits noirs, de grillé, champignon et une sensation terreuse. La bouche est puissante, large, sphérique, le millésime lui a conféré une touche alcooleuse et en fin de bouche la minéralité est très présente. C’est typiquement un vin d’hiver qui appelle du gibier.

En abordant le sujet de la température, il en a profité pour rappeler que la température de service est importante pour une bonne lecture des arômes et des terroirs ; de plus, le Pinot Noir est capricieux et sensible. Il faut servir les rouges chambrés, mais attention cette expression date du Moyen-Âge quand les pièces avaient entre 16 et 18°C, aujourd’hui elles sont à 22°C ce qui est bien trop chaud. En conclusion, il vaut mieux sortir le vin de la cave une heure avant le service.

Certes en donnant des clés de compréhensions des terroirs et des millésimes, il a expliqué que les accords mets-vins sont facilités en se servant des deux profils ; les vins verticaux s’accordent avec des viandes fines comme la caille ou le canard, les vins horizontaux se marient avec des viandes qui ont plus de mâche comme l’agneau ou le veau.

Les accords peuvent être modifiés suivant les accompagnements, les épices ou la sauce, dont la texture doit répondre à la puissance aromatique du vin. Romain Iltis a joué la diversité des accords en proposant à l’un de ses concours du poisson, sauce crustacés, avec un Rouge comme Renard du Domaine Henry Fuchs ; dans ce cas, il a fait concorder la minéralité du vin et celle du poisson. L’utilisation du vin reste la même quel que soit son âge car sa structure de base est conservée.

L’Alsace peut se targuer d’avoir une palette de vins qui s’accorde à toutes les cuisines du monde entier comme le Grossberg Pinot Noir du Domaine Sipp Louis qui se marierait avec un couscous, dont il ferait ressortir les épices.

Romain a profité une fois de plus, de son intervention en public pour faire sa «minute militante». Avec beaucoup d’humour, il crie haut et fort «arrêtons de servir les vins d’Alsace dans des verres à pied vert». C’est desservir la qualité des vins. Il propose de faire un bûcher avec ces verres et de danser autour, car ils ne permettent pas l’expression totale de l’atout majeur des vins d’Alsace qu’est l’expression aromatique.

Par sa sélection de Rouges d’Alsace, il a couvert tout un repas, de l’apéritif à la viande en passant par l’entrée et le poisson. Il a démontré que l’Alsace a une carte à jouer au niveau des rouges, les viticulteurs ont un potentiel dans son élaboration et travaillent pour obtenir un vin de garde.

Le vignoble d’Alsace est peut-être à la genèse d’une nouvelle histoire.