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En 2017, Christian Beyer m’avait invité à participer à une session de la Confrérie Saint Etienne consacrée à des millésimes anciens et cette rencontre avec de vénérables flacons tirés de l’œnothèque du Château de Kientzheim m’avait fait une très belle impression.

Depuis lors, je n’ai pas eu l’occasion de réitérer cette expérience – la faute à des agendas souvent incompatibles et à une distance Strasbourg-Kientzheim qui peut être assez dissuasive…surtout pour le voyage retour – mais avec ma nouvelle vie de retraité qui me laisse plus de liberté, j’ai décidé de faire une petite escapade vineuse dans le Haut Rhin avec une visite au domaine Muré et au domaine de l’Oriel avant de conclure par cette dégustation organisée par la Confrérie Saint Etienne.

Hoppla, c’est parti

Vue nocturne sur le château de Kientzheim

Le groupe de dégustateurs du soir s’installe

Mon espace de « travail » est prêt

Cette séance de dégustation dirigée par Alexandre Schoffit, actuel Major de la Confrérie Saint Etienne, va permettre à une quinzaine de convives de goûter 13 vins dont le plus jeune est né en 2013 et le plus âgé en 1969 avec comme objectif principal de nous présenter des « cépages et terroirs méconnus à l’épreuve du temps ».

Les vins sont servis à l’aveugle, seuls, par 2 ou par 3.

La séance commence avec deux vins…

…servis à l’aveugle.

Alexandre Schoffit anime la dégustation en recueillant l’avis des participants avant de lever le mystère sur l’origine des vins.

  • Riesling Buhl 2013 – Domaine Schieferkopf : nez complexe, notes miellées et grillées/torréfiées sur un fond pierreux assez marqué, bouche dense structurée par une acidité très vive, développement aromatique sur le pamplemousse, finale un peu auster avec des amers sensibles et une longue persistance minérale
  • Riesling Muenchberg 2006 – Domaine Ruhlmann : nez agréable avec un fruité discret (notes d’abricot frais) sur un fond légèrement fumé, bouche ample et ronde avec un centre un peu mollasson, finale soutenue par une belle salinité et des amers nobles.

La dégustation commence par une doublette du XXI° siècle – ce seront d’ailleurs les seuls vins nés après l’an 2000 – qui nous présente un riesling de 2013 solidement construit bien marqué par son terroir de schistes et un riesling de 2006 agréable à boire mais avec nettement moins de tonus.

Profitant des effets conjugués d’un millésime avec de belles acidités et d’un terroir qui imprime fortement les vins, le riesling 2013 a encore de belles perspectives d’évolution devant lui, alors que le riesling 2006 – que j’avais pris pour un pinot gris d’ailleurs – donne des signes annonciateurs d’une phase de déclin imminent.

  • Klevener de Heiligenstein 1996 – Cave Viticole Andlau-Barr : nez intense et charmeur avec des arômes de litchi et des notes de sous bois, bouche gourmande, équilibre frais, finale un peu plate.
  • Gewurztraminer Clos Gaensbronnel 1993 – Domaine Willm : nez intense et complexe, notes de fumée et de tabac à l’ouverture puis développement aromatique sur l’amande fraîche et les fruits blancs, bouche ample, structure assez souple, finale relevée par des amers noble et une belle persistance réglissée.
  • Gewurztraminer Kanzlerberg 1990 – Domaine Sylvie Spielmann : nez discret avec une palette aromatique bien mûre sur le miel et la cire sur un fond d’agrumes confits, jus consistant en bouche, équilibre rond, finale épicée/réglissée avec de légères nuances oxydatives.

Après plus de 25 années de garde, les 3 vins de cette seconde série se tiennent plutôt bien tout en affirmant fortement leurs identités respectives : à côté d’un Klevener de Heiligenstein très flatteur mais qui montre quelques signes de fatigue, les deux gewurztraminers semblent encore en très bonne forme avec des palettes aromatiques bien complexes et des structures équilibrées en bouche…même si on décèle quelques arômes oxydatifs dans la finale du Kanzlerberg de Sylvie Spielmann.

  • Pinot Noir Brand 1979 – Domaine Armand Hurst : robe brune et très trouble qui n’annone rien de bon, nez torréfié, fumé assez fatigué, bouche sèche et rachitique, finale où on ne sent plus que quelques tannins assez durs.

Le domaine Hurst a sorti quelques pinots noirs d’anthologie sur ce terroir granitique mais cette bouteille n’a visiblement pas survécu à cette garde de plus de 40 ans. R.I.P. !

  • Pinot Blanc 1989 – Domaine Hartmann : olfaction bien fraîche sur les fruits blancs et les cereals légèrement torréfiées, bouche svelte et très élégante avec un grip tannique stimulant, finale étirée et bien sapide.
  • Auxerrois 1976 – Domaine Ortlieb : nez très agréable avec une palette complexe, botes de fruits exotiques sur un fond fumé et tourbé, bouche puissante avec un jus consistant et charpenté, finale rafraîchie par de beaux amers minéraux

On poursuit notre remontée dans le temps avec deux vins tout à fait étonnants issus de cépages qu’on dit « mineurs » mais qui sont capable d’engendrer de très belles cuvées comme cet auxerrois qui porte ses 45 années sans vaciller et ce pinot blanc de 89 encore plein d’énergie.

Il est temps de redonner toute la place qu’il mérite à ce cépage qui fait de bien belles bouteilles, comme ces deux vénérables flacons…ou comme d’autres plus jeunes dégustés récemment lors d’une session AOC.

  • Sylvaner 1977 – Domaine Paul Blanck : olfaction complexe, notes de tabac blond et de noisette grillée sur un joli fond fumé/moka), bouche longiligne, équilibre très droit mais acidité bien fondue, finale fraîche avec des amers nobles.
  • Muscat 1975 – Domaine Charles Jux : nez très intense sur la menthe verte et la chlorophylle, bouche fraîche et légère, finale longue avec un magnifique sillage floral.

A côté d’un muscat 75, dont la pureté, la profondeur et la jeunesse m’ont littéralement subjugué, le sylvaner 77 du domaine Blanck a également fait très belle impression avec son aromatique raffinée et sa prestance très classieuse en bouche.

Bref, voilà deux très beaux vins qui nous poussent à relativiser les notions de « petits cépages » et de « petit millésime » et remettre en avant l’importance du travail du vigneron.

  • Klevner 1971 – Cave Viticole de Hunawihr : nez agréable avec de belles notes de gelée de coing et de céréales grillées, bouche assez ample, équilibre tonique, finale très aérienne.
  • Chasselas 1970 – Château d’Isenbourg : nez discret avec une palette fruitée encore bien fraîche sur un fond mentholé, bouche pleine d’énergie structurée par une acidité large, finale assez courte mais bien vive.

La dernière doublette nous propose à nouveau deux vins issus de cépages dits « modestes », qui portent leur demi-siècle avec une grande élégance avec des aromatiques d’une fraîcheur confondante et des constructions encore tout à fait cohérentes en bouche.

En ce qui me concerne, j’étais parti sur deux cuvées de pinot gris…c’est dire si la tenue de ce pinot blanc et surtout de ce chasselas m’a vraiment impressionné.

  • Riesling Schoenenberg 1969 – Domaine René Schmidt : olfaction fraîche et discrète, bouche ample et profondément saline, finale tendue et marquées par de belles nuances terpéniques.

La fin de la soirée nous emmène dans les « sixties » avec un riesling né sur un grand terroir de Riquewihr et produit par un domaine qui n’existe plus mais dont j’ai déjà pu goûter l’un ou l’autre vin notamment à la Confrérie.

C’est un vin plutôt « méditatif » d’une grande profondeur mais d’une jeunesse tout à fait insolente. WAOUHHH !

Pour conclure :

Pour illustrer le thème de cette dégustation Alexandre Schoffit avait sélectionné une belle série de flacons pour nous faire remonter dans le temps jusqu’au millésime 1969…un voyage très intéressant dans l’histoire du vignoble alsacien.

Une fois encore nous avons pu vérifier combien les grands vins d’Alsace bien nés et bien vinifiés savaient se tenir dans le temps…surtout lorsqu’ils sont conservés dans une cave comme celle du château de Kientzheim : ces vénérables flacons emballés individuellement dans des sachets destinés à protéger leurs étiquettes sont régulièrement goûtés et rebouchés.

Les vignerons qui confient une partie de leur production à la Confrérie peuvent être rassurés…leurs trésors vieillissent sereinement dans des conditions vraiment exceptionnelles.

Dans ce panel qui proposait des bouteilles âgées de 8 à 52 ans, nous avons trouvé une grande majorité de vins encore bien vivants même si certains d’entre eux avaient visiblement passé leur apogée depuis quelques années.

A titre personnel, mon coup de cœur ira à la doublette sylvaner 77 du domaine Blanck et muscat 75 du domaine Jux, deux bouteilles qui ont illustré à merveille la thématique de la soirée en apportant la preuve que des cépages méconnus – et trop souvent mésestimés – peuvent générer de très beaux vins, pour peu qu’ils soient issus de terroirs qualitatifs et travaillés par de grands vignerons.

Merci à tous ceux qui ont œuvré pour nous proposer cette soirée très instructive.

Fin de soirée au Château de Kientzheim avec des dégustateurs comblés par cette belle expérience gustative.

Article de Pierre Radmacher, vous pouvez le suivre sur son blog Vins, Vignobles et Vignerons

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