Par une froide matinée d’hiver en 2022, à Ribeauvillé, Michel Windholtz, distillateur passionné et héritier d’une longue tradition familiale, a ouvert les portes de sa distillerie. Nichée dans la cité des ménétriers, cette petite distillerie artisanale est le fruit de trois générations de savoir-faire. Michel, fier de cet héritage, perpétue une tradition de bouilleurs de cru, alliant techniques ancestrales et innovations modernes pour produire des eaux-de-vie d’une grande finesse.
L’héritage d’une famille
La distillation fait partie de l’histoire de la famille Windholtz depuis des décennies. « Mon grand-père était déjà bouilleur de cru, » rappelle Michel. « Mon père a professionnalisé l’activité dans les années 60, et en 1987, j’ai pris la relève. » Depuis lors, Michel distille les fruits locaux pour en tirer des eaux-de-vie, chaque bouteille étant le reflet de plusieurs générations de savoir-faire.
Ce jour-là, une nouvelle distillation est en cours. Le processus est bien entamé, mais il faudra encore plusieurs heures avant que les premières gouttes d’alcool ne commencent à couler. « Il faut compter entre 8 et 9 heures de chauffe, » explique Michel. Pendant cette attente, il ne reste jamais inactif, alternant entre la salle de distillation et le bureau. « Entre les commandes, la comptabilité et les petites tâches quotidiennes, il y a toujours quelque chose à faire », ajoute-t-il avec un sourire, en enfourchant son vélo pour se déplacer rapidement à travers la distillerie.
Techniques de distillation
Au cœur de la distillerie, l’odeur subtile des fruits macérés enveloppe l’atelier. Michel utilise deux types d’alambicspour extraire l’essence des fruits : l’alambic à passe et repasse et l’alambic à colonne. Le premier, plus traditionnel, requiert deux distillations successives. « On distille d’abord la purée de fruits pour obtenir un premier alcool brut, puis on redistille ce liquide. C’est lors de cette deuxième phase que l’on sépare la tête, le cœur et la queue, pour ne conserver que le cœur, l’alcool pur », explique-t-il. Cette technique, bien que plus longue, permet de sélectionner avec précision la partie la plus noble du distillat.
L’alambic à colonne, plus moderne, offre une distillation plus rapide et plus précise. Il se compose de plusieurs plateaux qui affinent progressivement l’alcool. « L’alcool monte en vapeur, se condense sur les plateaux, redescend, puis remonte à nouveau jusqu’à ce qu’il soit suffisamment pur », détaille Michel. Ce système de rectification permet d’obtenir un alcool de qualité dès la première passe, réduisant ainsi les manipulations et offrant une précision accrue. « Mais il n’y a pas de méthode meilleure qu’une autre, cela dépend de la philosophie de chaque distillateur. »
La gestion des fruits
Le savoir-faire de Michel ne s’arrête pas à la distillation. Une fois l’alcool extrait, il procède à une séparation minutieuse des différentes phases du liquide distillé : la tête, le cœur et la queue. « La tête contient des substances volatiles indésirables que l’on élimine. Le cœur renferme les arômes purs du fruit, et c’est cette partie que l’on met en bouteille. Quant à la queue, elle contient moins d’alcool et est souvent réutilisée pour la distillation suivante. » Cette attention à chaque détail garantit une qualité constante.
Les fruits utilisés dans la distillation varient selon la saison et la disponibilité. « La durée de chauffe est à peu près la même pour chaque fruit, mais certains, comme la poire, mettent plus de temps à libérer leur alcool que d’autres, comme la mirabelle », précise Michel. Avant la distillation, les fruits subissent une fermentation naturelle. Une fois ce processus terminé, la purée de fruits fermentée est directement placée dans les cuves. « Environ 200 litres de fruits fermentés sont chargés dans les cuves, accompagnés de 30 à 50 litres d’imparfaits, ou queues de distillation », explique-t-il. Ces imparfaits proviennent de la précédente distillation, et sont réutilisés pour optimiser l’extraction d’alcool, minimisant ainsi les pertes.
L’influence des conditions climatiques
Le taux d’alcool obtenu varie en fonction des fruits. « Pour la poire ou le coing, on obtient environ 3 à 3,5 % d’alcool, alors que pour des fruits comme la mirabelle ou les cerises noires, on peut monter à 5,5 voire 6 % », détaille Michel. Tout dépend de la teneur en sucre du fruit : plus il est sucré, plus il libère d’alcool lors de la fermentation.
Bien que les conditions météorologiques influencent la qualité des fruits, elles n’ont pas d’impact direct sur la distillation elle-même. « Ce qui compte, c’est la fermentation. Si elle est trop rapide à cause d’une chaleur excessiveou bloquée par un froid brutal, cela peut altérer le résultat final. Mais une fois la fermentation achevée, le processus de distillation est assez stable. »
Un marché en mutation
L’activité de la distillerie suit le rythme des récoltes. « La distillation s’étale sur l’année, mais elle n’est pas continue. Après la mirabelle et la poire, je passerai à la framboise et à la cerise au printemps. » Pourtant, le marché des eaux-de-vie est en constante évolution. Si ces alcools traditionnels continuent de séduire un public fidèle, d’autres spiritueux, comme le whisky, connaissent une popularité croissante. « Beaucoup de distillateurs se tournent vers le whisky pour diversifier leur production », confie Michel, tout en préférant se concentrer sur les eaux-de-vie, reflet de son héritage familial.
Le secteur des eaux-de-vie fait face à une fiscalité particulièrement lourde. En 2023, la taxe sur les eaux-de-vieatteignait environ 23 euros par litre d’alcool pur, un chiffre considérable qui inclut une taxe spécifique à la sécurité sociale, en plus de la TVA. « Quand on voit des bouteilles d’eau-de-vie vendues à 20 euros dans les supermarchés, on se demande ce qu’il reste pour le distillateur », souligne Michel. Les marges sont réduites et ces taxes rendent difficile la rentabilité de la production artisanale.
Un avenir incertain
Malgré ces défis, l’eau-de-vie alsacienne continue de briller sur les marchés nationaux et internationaux. Les distilleries alsaciennes, dont celle de Michel, exportent leurs produits vers des pays comme la Suisse, l’Angleterre, ou encore d’autres pays européens. Pourtant, l’avenir de ces petites distilleries reste incertain. « La relève n’est pas toujours assurée », admet Michel. Bien que ses enfants soient brillants, aucun ne semble désireux de reprendre l’affaire familiale, un métier qui demande un engagement personnel conséquent.
Le marché évolue également, notamment pour certains fruits emblématiques comme la framboise sauvage. « Il y a vingt ans, les framboises sauvages étaient moins chères que celles de culture. Aujourd’hui, c’est trois fois plus cher », déplore Michel. Cette rareté, due à des conditions climatiques et une dépendance accrue aux importations des pays de l’Est, affecte la production. Pourtant, même avec des coûts en hausse, la demande reste présente.
Notoriété et qualité
La réputation joue un rôle clé dans la valorisation des produits. « Pourquoi un vin Rothschild est-il 50 fois plus cherque celui de son voisin ? La notoriété, c’est aussi une marque », observe Michel. Dans le cas de sa distillerie, cette reconnaissance permet de justifier des prix plus élevés, tout en maintenant un haut niveau de qualité.
La distillerie Windholtz, comme d’autres en Alsace, tire une part importante de ses revenus de la vente directe. Environ 35 % du chiffre d’affaires provient de la boutique physique, un lieu où les clients viennent découvrir et acheter directement après une dégustation ou une visite. La vente en ligne, bien qu’en pleine expansion, reste plus coûteuse pour les particuliers.
Respect des saveurs
Michel accorde une importance primordiale au respect des saveurs naturelles des fruits. Chaque eau-de-vie qu’il produit reflète le fruit originel, sans artifices. Il confie son affection particulière pour les eaux-de-vie de cerise, notamment le kirsch, la griotte ou encore la cerise sauvage, chacune ayant des arômes distincts.
La distillation d’une eau-de-vie demande précision et rigueur, mais aussi une compréhension fine des processus de fermentation et de macération. Chaque étape, de la sélection des fruits à la mise en bouteille, est réalisée avec soinpour garantir une qualité exceptionnelle.
Un savoir-faire en danger
L’avenir de la distillation artisanale repose en grande partie sur la transmission de ce savoir-faire. La passion pour les eaux-de-vie alsaciennes est toujours vivace, mais l’économie, la fiscalité et les goûts du public évoluent. Michel Windholtz, avec son amour du métier et son héritage familial, continue de perpétuer cette tradition, en espérant que les générations futures sauront en apprécier toute la richesse.