

Comme chaque année, la section alsacienne de l’Union des Œnologues de France a donné rendez-vous aux acteurs de la filière pour sa conférence de pré-vendanges. Ce moment attendu, à la croisée des regards techniques, sanitaires et économiques, permet de prendre la mesure de l’année et d’anticiper l’entrée en cave. Devant un auditoire de vignerons, techniciens et responsables professionnels, les interventions ont alterné entre analyses précises et réflexions stratégiques, dessinant les contours d’un millésime 2025 prometteur mais exigeant, et d’un vignoble alsacien en pleine mutation.
Chaleur, précocité et équilibre
Le premier temps fort fut la présentation d’Arthur Froehly, responsable du pôle technique du CIVA et directeur du Vinopole Alsace. Il a ouvert le bal en dressant le portrait climatique d’une année déjà classée parmi les plus chaudes depuis le début des relevés.
“Depuis janvier, nous vivons dans une moyenne largement supérieure aux normales saisonnières“, a-t-il expliqué. Avec 2025, Colmar signe sa sixième année la plus chaude depuis 1972. Le printemps a été sec, et la vigne a souffert en mai et juin. Mais des pluies salvatrices début juillet, puis de nouveaux épisodes arrosés fin août, ont rééquilibré la situation. Un répit inégalement réparti selon les terroirs : les zones calcaires barinoises portent encore les stigmates du stress hydrique.
Des stades phénologiques en avance
Le calendrier en témoigne : débourrement dès le 8 avril, floraison au 7 juin et véraison fin juillet. Les ouvertures de récolte en Crémant (19 août) et en AOC Alsace (25 août) ont été les plus précoces jamais décidées.
Les contrôles de maturité menés mi-août révèlent déjà des degrés élevés : 10,7° pour le Gewurztraminer, 10,5° pour le Pinot Gris, 10° pour l’Auxerrois et le Pinot Noir, un peu moins pour le Riesling.
Acidités préservées, promesse d’équilibre
Fait notable : malgré la chaleur, les acidités se maintiennent entre 5,9 et 7,6 g/L selon les cépages. Les pluies de juillet ont empêché une chute trop brutale. Pour Arthur Froehly, cette combinaison de sucres élevés et d’acidité solide augure des profils “sucracides“ séduisants, notamment pour l’Auxerrois et le Pinot Gris.
Un vignoble globalement sain
Après le climat, place à la santé de la vigne. Frédéric Schwaerzler, conseiller viticole à la Chambre d’Agriculture, s’est montré optimiste.
“Nous sommes à la veille d’un grand, voire d’un très grand millésime“, a-t-il lancé. Le constat est globalement rassurant : très peu de mildiou, un botrytis limité à quelques foyers sur Pinot, et un oïdium sous contrôle.
Les points de vigilance
- Les vers de la grappe sont plus nombreux que d’habitude.
- Le stress hydrique a marqué certains secteurs comme Gueberschwihr ou le Bollenberg.
- L’échaudage a frappé surtout les jeunes vignes lors des pics de chaleur fin juin et début août.
Malgré ces incidents localisés, les maturités et acidités observées font espérer une récolte de grande qualité, notamment pour le Riesling, décrit comme “exceptionnel à ce stade“.
Cap sur les cépages d’avenir
Frédéric Schwaerzler a aussi évoqué les variétés d’intérêt pour l’adaptation (VIFA), désormais autorisées à titre expérimental. Dix cépages (du Voltis au Vermentino, en passant par la Syrah ou le Nebbiolo) font l’objet de plantations strictement encadrées. Objectif : tester leur résistance au réchauffement et aux maladies.
Certaines, comme l’Opalor ou le Sélénor, créations locales, pourraient bien renforcer demain les bases de Crémants d’Alsace.
Rigueur et anticipation
Une fois la vigne passée au crible, c’est Léa Meyer, œnologue-conseil à la Chambre d’Agriculture, qui a pris la parole. Son message ? Optimisme, mais prudence.
Les indicateurs au 18 août parlent d’eux-mêmes : TAP moyen à 9,8, pH à 3,05, acidité tartrique élevée, et des baies d’une grande qualité sanitaire. “Nous avons de très beaux raisins, mais il faudra veiller à préserver l’équilibre acide“, a-t-elle insisté.
Recommandations pratiques
- Récolter tôt le matin et maintenir le froid.
- Utiliser la bioprotection pour réduire le sulfitage.
- Anticiper des débourbages compliqués, notamment sur Pinot Gris.
Innovation en cave
Parmi les nouveautés, la technique du “cracking” (chauffage contrôlé des jus botrytisés) séduit par sa capacité à stabiliser les vins et préserver les arômes. Autre piste : des levures inédites capables d’inhiber le Brettanomyces.
Pour les Crémants, Léa Meyer recommande des contrôles serrés et la co-inoculation. Quant aux vins de négoce, elle rappelle la vigilance face aux nouvelles obligations d’étiquetage.
Le regard économique
Si le millésime inspire confiance techniquement, l’analyse de Gilles Neusch, directeur du CIVA, a ramené l’auditoire à une réalité plus rugueuse : celle du marché.
Des ventes en recul
En 2025, les vins d’Alsace se vendent à hauteur de 890 000 hectolitres, contre plus d’un million il y a dix ans. Les vins tranquilles reculent fortement, tandis que le Crémant maintient les équilibres. Mais la concurrence des autres régions s’intensifie.
Un défi générationnel
La consommation de vin chute en France : de 127 litres par habitant en 1960 à 40 litres aujourd’hui. Pire encore, seuls 5 % des consommateurs de vins d’Alsace ont moins de 35 ans, tandis que la moitié ont plus de 65 ans. “C’est là que se joue l’avenir“, a souligné Gilles Neusch, insistant sur la nécessité de reconquérir les jeunes générations.
Maintenir la valeur, pas les volumes
Avec 15 400 hectares stables, la question n’est pas l’arrachage massif, mais la rentabilité des surfaces cultivées. Le directeur du CIVA a insisté sur l’importance de créer de la valeur “Notre vignoble restera manuel. C’est notre force, mais aussi notre contrainte“.
Miser sur l’innovation et la coopération
Pour affronter l’avenir, la filière s’organise :
- À l’international, l’Alsace mise sur le Japon, où les vins ont brillé à l’Exposition universelle d’Osaka.
- Localement, le projet de la Cité des vins d’Alsace doit devenir un lieu emblématique mêlant culture, gastronomie et découverte.
- Institutionnellement, la filière réorganise ses structures, misant sur la mutualisation des moyens.
“Notre responsabilité est d’offrir demain aux viticulteurs des outils plus adaptés, plus solides, tout en préservant la singularité du vignoble“, a résumé Gilles Neusch.
Une clôture conviviale
Pour conclure cette après-midi dense, Guillaume Cattin a pris la parole. Il a salué l’importance du réseau de l’Union des Œnologues, avant de remercier les partenaires.
Puis place fut donnée à un moment de convivialité typiquement alsacien : tartes flambées, Crémants et vins tranquilles, partagés dans la cour de l’université.
Un millésime prometteur, un avenir à bâtir
La conférence pré-vendanges 2025 aura mis en lumière l’ambivalence actuelle du vignoble alsacien. D’un côté, une récolte 2025 qui s’annonce qualitative et précoce. De l’autre, une filière confrontée à des défis structurels : recul de la consommation, vieillissement de la clientèle, concurrence accrue et nécessité de s’adapter au climat.
Entre rigueur technique, innovation et valorisation, l’Alsace viticole joue une partie essentielle de son avenir. Et si 2025 s’annonce comme un grand millésime, il appartient désormais à la filière de transformer cette promesse en levier de renouveau.
Vous pouvez visionner l’intégralité de la conférence grâce à notre captation vidéo et retrouver les liens vers les présentations de chacun des intervenants.