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Héritage familial et enracinement profond

Le Domaine Schnebelen, niché à Thann, au pied des Vosges, est bien plus qu’une simple exploitation viticole : c’est une histoire de famille et de transmission. Fondé en 1986 par Eugène Schnebelen, passionné de vigne et de rugby, il s’inscrit dans une lignée encore plus ancienne, puisque le grand-père cultivait déjà le Rosenbourg et le coteau du Rangen. À l’époque, ces terres étaient menacées d’abandon. Eugène a eu le courage de défricher, replanter et sauver un terroir qui risquait de disparaître dans les années 60. Aujourd’hui, c’est sa fille Léa Schnebelen, revenue en 2022 après des expériences formatrices en Allemagne et en Bourgogne, qui écrit la suite de cette histoire. Elle exploite désormais environ 61 ares de vignes sur le Grand Cru Rangen, un terroir exigeant mais prestigieux, ainsi que de jeunes plantations à Leimbach. Cette filiation et ce lien fort à la terre donnent à son travail une dimension profondément humaine et patrimoniale, où chaque grappe de raisin raconte une histoire de lutte, de passion et de résilience.

Entre vin et convivialité

Si Léa incarne une nouvelle génération de vignerons, c’est aussi parce qu’elle veut élargir l’expérience du vin au-delà de la simple dégustation. Avec son compagnon Thibaut, maître traiteur venu de Biarritz, elle porte un projet ambitieux : transformer une grande bâtisse en Maison Blanche, un lieu mêlant vin, gastronomie et hospitalité. L’idée est de créer un espace vivant et ouvert où les visiteurs pourront non seulement découvrir les vins du domaine, mais aussi partager un repas, assister à des événements festifs et même séjourner dans des chambres d’hôtes. Ce projet reflète une vision moderne de la viticulture, où le vin devient un art de vivre. C’est aussi une manière d’ancrer encore plus le domaine dans son territoire, en valorisant la convivialité, le patrimoine et les savoir-faire culinaires. Bien sûr, la route est semée d’embûches administratives et financières, mais Léa garde le cap, “On veut mêler nos compétences, autour du vin mais aussi de la convivialité et de l’art culinaire“. Derrière cette phrase se dessine toute une philosophie : faire du vin une expérience complète, à la fois gustative, culturelle et humaine.

Un terroir exigeant et des défis quotidiens

Cultiver la vigne à Thann n’a rien d’un long fleuve tranquille. Le Rangen, seul Grand Cru volcanique d’Alsace, impose des conditions de travail particulièrement difficiles. Les pentes abruptes, les sols volcano-sédimentaires, la sécheresse estivale suivie de pluies soudaines, rendent chaque geste viticole plus complexe. “Ici, il n’y a pas de relâche. Le terroir est exigeant, mais c’est aussi ce qui fait sa grandeur“, souligne Léa. La plupart des travaux se font encore à la main, car les machines passent difficilement. De plus, la proximité de la forêt expose les vignes aux attaques de sangliers, d’oiseaux et même de chamois, ce qui oblige à redoubler de vigilance. S’ajoutent à cela les canicules qui stressent la vigne et les maladies comme le mildiou. Pourtant, ces contraintes forgent des vins d’une personnalité unique, marqués par une grande tension minérale, une fraîcheur préservée et une identité forte. Dans ce cadre, chaque vendange est une bataille, mais aussi une victoire. Le terroir, bien que rude, donne des vins qui sont l’expression sincère d’une nature vivante et exigeante.

L’art et la sensibilité au cœur du vin

Si Léa se distingue, c’est aussi par son approche créative du vin. Avant de devenir œnologue, elle a étudié les arts appliqués, et ce bagage artistique se ressent dans sa manière d’appréhender son métier. Elle collabore avec des artistes, comme Véronique Duflot, qui a illustré certaines étiquettes de ses cuvées de Sylvaner et de Gewurztraminer. “C’était important de mettre en couleur les mots et les sensations que l’on ressent en dégustant“, explique-t-elle. Ces choix donnent à ses vins une identité visuelle singulière, qui reflète leur personnalité et leur profondeur. Mais au-delà de l’esthétique, Léa met aussi sa sensibilité dans la vinification : elle privilégie des vins secs et gastronomiques, conçus pour accompagner la table et refléter la vérité du terroir. Certaines cuvées prennent même une dimension solidaire, comme celle dédiée à la restauration des vitraux de la collégiale de Thann, datant du XVe siècle. Ainsi, ses vins deviennent plus qu’une boisson : ils sont un vecteur de mémoire, de culture et d’engagement.

Être vigneronne et maman

Dans un milieu encore largement marqué par des codes masculins, Léa affirme sa place en tant que femme vigneronne et maman. Sa petite fille, a déjà un tonneau à son nom, cadeau d’un grand-père soucieux de transmission. Mais être mère tout en dirigeant un domaine viticole reste un défi quotidien, “On a parfois l’impression qu’il faut choisir entre sa vie professionnelle et sa vie privée. J’ai décidé que non“, confie-t-elle. Cette conviction la pousse à revendiquer un modèle où maternité et travail ne s’opposent pas, mais se complètent. Elle n’hésite pas à emmener sa fille lors de rencontres professionnelles, bousculant ainsi les habitudes du milieu. Cet équilibre, parfois fragile, nourrit aussi son rapport au vin : produire des cuvées qui reflètent la sincérité, l’authenticité et l’attention aux détails, comme on prend soin d’un enfant. En assumant ce double rôle, Léa incarne une nouvelle génération de vigneronnes qui veulent conjuguer exigence professionnelle et épanouissement personnel, et montrer que l’un ne va pas sans l’autre.

Un avenir construit sur la sincérité et la transmission

Aujourd’hui, la production du domaine reste encore modeste (environ 3 000 bouteilles par an), mais Léa a une vision claire : grandir sans perdre son âme. Pour cela, elle développe une activité de négoce, qui lui permet de donner le temps à ses vins du Grand Cru Rangen de vieillir sereinement en cave, tout en élargissant sa gamme. Elle envisage aussi de nouvelles plantations, notamment en pinot noir, et réfléchit à des collaborations avec d’autres vignerons. Mais toujours dans une logique de taille humaine, loin des modèles industriels. Dans un contexte où la viticulture affronte des défis climatiques, économiques et sociaux majeurs, cette approche mesurée et sincère est un choix fort, “Mon ambition n’est pas de grossir à tout prix, mais de produire des vins sincères, à l’image de notre terroir et de notre histoire familiale“, affirme-t-elle. Cette phrase résume son état d’esprit : avancer avec détermination, tout en restant fidèle à ses valeurs. Pour Léa Schnebelen, chaque cuvée est à la fois un hommage au passé, une création ancrée dans le présent et une promesse faite à l’avenir.