Il est une tradition à la Confrérie Saint Etienne de Kientzheim : clôturer le calendrier des événements par une dégustation commentée des vins de fêtes. Vous l’avez compris, 24 personnes ont eu l’opportunité de goûter 11 vins d’Alsace issus de raisins en surmaturité, des Vendanges Tardives, des Sélections de Grains Nobles et une surprise.

La soirée était animée par Jean-Marc Bentzinger et Patrick Schiffmann. Ils ont rappelé les habitudes de la Confrérie pour ce genre de manifestation ; c’est un moment d’échanges de ressentis, tout le monde doit s’exprimer car tout le monde a raison dans son analyse organoleptique du vin, chaque palais est différent et spécifique, la dégustation est un plaisir et un moment de convivialité.

Petit rappel nécessaire avant de vous mettre l’eau à la bouche. Vendanges Tardives (VT) et Sélection de Grains Nobles (SGN) sont des mentions et non des appellations, elles peuvent être additionnées tant à l’AOC Alsace qu’à l’AOC Alsace Grand Cru.

Ces mentions ont été créées par un décret de 1976 sous l’impulsion de Jean Hugel, négociant en vins à Riquewihr et Grand Maître de la Confrérie, pour faire la promotion des vins d’Alsace issus de raisins surmaturés, botrytisés, l’élite des vins d’Alsace.

Au départ les conditions de production étaient assez souples, par exemple un Riesling VT avec un degré d’alcool naturel de 14,4 suffisait. Par la suite les conditions de production se sont durcies pour arriver à un minimum de 16% d’alcool potentiel pour les Gewurztraminers et les Pinots Gris en VT. Le rendement actuel maximum pour les VT est de 55 hl/ha et pour les SGN de 40 hl/ha maxi. Les seuls cépages autorisés pour les deux mentions sont le Riesling, le Muscat, le Pinot Gris et le Gewurztraminer. Les vendanges sont exclusivement manuelles et l’enrichissement (chaptalisation) est interdit, mais, franchement, vue les concentrations demandées ce n’était pas la peine de le préciser.

A l’époque un seul contrôle du degré d’alcool naturel suffisait ; depuis les contrôles se sont multipliés. Aujourd’hui pour obtenir la mention VT ou SGN il faut remplir plusieurs critères :

  • signaler la parcelle avec laquelle on veut produire les mentions

  • le jour de la récolte, prévenir les instances de contrôle qui viennent apprécier visuellement la qualité des raisins (déclassement possible dans le cas d’une trop forte proportion de mauvaise pourriture), mesurer la richesse en sucre du raisin et calculer le degré en alcool probable (si degré minimum requis est trop juste, ce n’est pas la peine de revendiquer la mention)

  • le pressurage n’est possible qu’après la certification de la récolte

  • le lendemain nouveau contrôle pour vérifier le volume et revérifier la richesse en sucre

  • à partir de là, la vinification peut aboutir à un vin avec beaucoup de sucres résiduels ou plus sec

  • mise en bouteille et conservation d’une année en bouteille avant la dégustation d’agrément.

Après ce processus de contrôle, seul 2/3 des volumes revendiqués au départ obtiennent la mention.

Évidemment pour obtenir ce résultat plusieurs conditions doivent être réunies.

Premièrement, il faut un climat adapté au développement de la pourriture noble, du brouillard le matin pour le développement du champignon (botrytis cinerea) et du soleil le reste de la journée pour que le champignon se cache dans la baie et y absorbe l’eau pour concentrer le reste des éléments (sucres, acides et arômes). En conclusion l’arrière saison est primordiale. Tous les millésimes ne se prêtent pas à la production de VT et de SGN ; depuis 1976 le vignoble alsacien n’a connu que trois années glorieuses (1988, 1989 et 1990) qui ont donné lieu à un tournant pour la vinification des vins d’Alsace avec une production de vins avec plus de sucres résiduels.

Deuxièmement condition : le vigneron doit accompagné la nature, c’est-à-dire qu’au départ il doit faire le choix d’amener ses raisins en surmaturité, il doit choisir le cépage qu’il voudra vinifier en VT ou SGN. Ensuite il choisit la parcelle en fonction du terroir et du climat car toutes ne sont pas adaptées au développement du botrytis.

La parcelle doit être aérée, précoce. Les terrains légers ne sont pas trop propices aux VT car la vigne part en souffrance et fait des blocages dans son développement. Les terroirs lourds conviennent mieux, à condition que le sol ne soit pas trop riche, que le sol et la plante soient équilibrés, que la plante s’autorégule pour éviter les dépassements de rendement (55 hl/ha – pour Jean-Marc une belle VT se fait avec un rendement de 20-25 hl/ha). Il faut aussi avoir une bonne proportion de feuillage par rapport au nombre de raisins sur un cep pour bien nourrir les grappes et les amener à maturité. Ainsi pour un vin classique il faut 1m2 de feuillage pour 1kg de raisins, donc pour une VT il faut faire mieux et enlever des raisins s’il y en a trop (retrait de 30 à 40% de raisins).

Au moment de la récolte, le vigneron peut trier les baies et ne prendre que les grains nobles ou l’ensemble de la grappe. Cependant,  il est plus intéressant d’avoir les grains nobles et les baies normales car au pressurage le jus des baies les moins mûres, qui coule bien, se charge du sucre des baies les plus mûres qui coule plus difficilement. L’enjeu est d’extraire la matière première très concentrée et pour y arriver il faut presser très lentement ; c’est toute une science.

Les VT ont deux caractères différents.

Un caractère passerillé dû à une concentration sur pied par passerillage (raisin exposé au soleil et au vent, raisin flétri) qui concentre les sucres et les arômes mais pas les acides : ce sont des vins qui manquent de gras.

Un caractère botrytis dû à une concentration par la pourriture noble qui concentre les sucres, les arômes et les acides : ce sont des vins avec du gras, un bel équilibre et une grande finesse.

La Confrérie nous a permis de découvrir 11 vins.

Riesling VT 1994  Grand Cru Kanzlerberg du Domaine Jean-Martin (Sylvie) Spielmann de Bergheim.

1994 n’était pas un grand millésime à VT, seuls les vignerons chevronnés ont réussi à en produire.

La robe est dorée intense, profonde, avec des larmes lentes. Le nez est discret, fin et élégant, avec des arômes de fleurs d’oranger, d’agrumes (mandarine), de paille et des notes de pierre à fusil. L’attaque en bouche est franche, poivrée. La bouche est longue, saline, avec une belle structure acide, cristalline, pure, il n’y a pratiquement pas de sucre résiduel.

Riesling VT 1995 du Domaine Emile Beyer d’Eguisheim.

La robe est orangée. Le nez présente des notes d’évolution qui s’estompent avec l’aération pour laisser place à des arômes de fruits confits, de coings, avec des notes de cires. L’attaque en bouche est sur les sucres, mais la bouche présente une acidité vive et fine et une finale saline. Ce vin à beaucoup de volume et de gras.

Le Riesling représente 10 à 15% maximum de la production annuelle de VT. C’est anecdotique, alors que le Riesling est le cépage qui réussi le mieux en VT et donne des produits de qualité, mais commercialement c’est loin d’être un succès car pour le consommateur la VT est associée au Gewurztraminer.

La bouteille surprise : Sylvaner 2009 – Cuvée Hors la Loi du Domaine Seppi Landmann de Soultzmatt.

C’est une cuvée issue de raisins en surmaturité sur le terroir du Zinnkoepflé.

Le nez est très complexe et évolue tout au long de la soirée. Il présente des arômes  floraux (violette, coquelicot), exotiques (litchi, mangue), d’agrumes, de rhubarbe et de fraises. La bouche est suave, soyeuse, avec des sucres bien fondus, une acidité élégante, fine et fraîche. C’est un vin plaisant, avec une belle jeunesse, gouleyant, sans opulence.

Tokay Pinot Gris VT 1989 – Grand Cru Vorbourg du Domaine de l’Ecole de Rouffach.

La robe est dorée, profonde, avec de belles larmes. Le premier nez est exotique. C’est un nez élégant, fin, avec des arômes de fleurs d’oranger, d’ananas confit, de mangue, de miel et d’abricot sec. La bouche est bien équilibrée, puissante, avec une finale de miel d’acacia et poivrée.

Tokay Pinot Gris VT 2000 – Grand Cru Vorbourg du Domaine de l’Ecole de Rouffach.

La robe est ambrée, c’est le signe d’une maturation affirmée. Le nez a des arômes de litchi, fruits confits, réglisse, cacao, clous de girofle et pain d’épices. La bouche est vivace avec une colonne vertébrale très puissante et une finale d’abricot, de mangue confite et alcooleux.

Le secteur de Rouffach produit de grands volumes de VT.

Tokay Pinot Gris VT 1997 du Domaine Bestheim de Bennwihr.

1997 était un beau millésime malgré les pluies de fin septembre, début octobre. Pour obtenir de belles VT, les vignerons ont dû être patients. Le manque d’acidité dès le début du millésime a abouti à des vins puissants, mais sans suffisamment d’acidité pour avoir un vieillissement optimal. Les vins vieillissent plus vite d’où la robe ambrée de cette bouteille. Le nez a des arômes de raisins confits et de coings. C’est un vin construit sur la structure alcool, fuyant en finale, il manque de volume et de gras. C’est typiquement une VT par passerillage.

Vous avez remarqué que nous avons dégusté des Tokay Pinot Gris, ce n’est pas une faute de frappe car jusqu’en 1989 l’Alsace produisait des Tokay. Par un décret du Conseil de l’Europe, suite à la demande de la Hongrie de retirer Tokay pour cause de confusion avec leur vignoble Tokajs, le Tokay était devenu Tokay Pinot Gris. De leur côté les hongrois utilisaient les noms Champagne et Cognac, dont l’usage leur a été retiré par le même décret. En 2007 l’abandon de Tokay a été définitif pour ne plus produire que du Pinot Gris.

Gewurztraminer VT 2003 Kaefferkopf du Domaine Kuhn d’Ammerschwihr.

En 2003 le Kaefferkopf n’était pas encore un Grand Cru car il n’a été classé qu’en 2007.

2003 était très chaud, un millésime solaire, la chaleur avait grillé les raisins et les arômes. Les viticulteurs ont dû s’adapter en évitant l’effeuillage et les rognages pour protéger les raisins des brûlures.

C’est une explosion aromatique au nez avec des arômes de rose, fruits de la passion, violette, bergamote, rhubarbe, sans la moindre note d’arômes de surmaturation. La bouche est élégante, chaude et fraîche en finale.

Gewurztraminer VT 2007 du Domaine Saint Remy de Wettolsheim.

C’est un vin plaisir, très jeune, avec un manque de fluidité entre le sucre, l’acidité et l’alcool, le sucre étant trop dominant. Il faut encore attendre pour l’apprécier à sa juste valeur.

Petit conseil d’accord pour les repas de fin d’année. Accordez les Pinots Gris VT à la finesse du foie gras d’oie pour avoir un équilibre sur la finesse. Accompagnez la puissance des Gewurztraminers VT au foie gras de canard plus puissant que l’oie.

Gewurztraminer SGN 1997 du Domaine Geiller d’Ingersheim.

La robe est ambrée. Le nez présente des arômes de fruits compotés, litchi, fruits jaunes, coings et jasmin. La bouche est fraîche et ronde à la fois, bien équilibrée et poivrée en finale. C’est un vin épais, massif.

La surmaturation des SGN gomme le cépage, tout comme celle des VT gomme le terroir ; ainsi toutes les VT et SGN produites sur les Grands Crus n’affichent pas forcément leur lieu de naissance.

Pinot Gris SGN 2009 du Domaine Meyer Lucien d’Hattstatt.

Le nez est austère. La bouche est grasse avec de la mâche, la surmaturation est trop marquée.

Gewurztraminer SGN 1997 – Grand Cru Furstenturm du Domaine Albert Mann de Wettolsheim.

La robe est très soutenue, voire orange. Le nez est complexe avec des arômes de fleurs d’oranger, de mirabelles, miel, fruits compotés, fumée, cacao, figue et zeste d’orange. La bouche est soyeuse, puissante, fraîche avec beaucoup de finesse. C’est un vin riche, léger, pas saturant, avec une grande longueur, qui ne fait pas son âge. Il se suffit à lui-même.

Par cette dégustation, la Confrérie a présenté une particularité de la vinification des vins d’Alsace et fait découvrir l’évolution de la maturation des vins par le vieillissement. Même si son oenothèque permet une conservation optimale des bouteilles, avec une température constante de 11 à 12°C proche de la température de service et une hygrométrie de 70%, il arrive que les bouteilles d’une même cuvée soient différentes à cause de la différence de porosité d’un bouchon à l’autre. Cette différence est un moyen d’échange entre les convives.

Tous les vins présentés à cette dernière manifestation de l’année étaient intéressants et aucun n’a démérité. La Confrérie est un lieu où l’on parle des vins et rien que des vins, pas des viticulteurs.

Les invités ont demandé si 2016 produira des vins de glace au vu des raisins encore sur pieds dans le vignoble.

De l’avis de Jean-Marc Bentzinger, il n’y a pas eu d’assez fortes gelées jusqu’à maintenant. Pour produire un vin de glace les raisins doivent arriver au pressoir à au moins -8°C et tous les travaux doivent se faire à cette température, ce qui veut dire qu’à la vigne les raisins doivent être à -10, -12°C pendant la récolte. La durée du pressurage est de 16 à 20 heures et la température doit toujours rester sous -8°C, car si les baies se réchauffent le peu d’eau gelée peut diluer le jus concentré.

Il existe deux sortes de vins de glace. Ceux fait avec des raisins mûrs. Et des vins de glace de rattrapage produit avec des raisins pas mûrs aux vendanges qu’on laisse jusqu’aux gelées. Ce seront des vins aromatiques mais avec beaucoup d’acide malique en bouche et camphrés.

Les dégustations organisées par la Confrérie Saint Etienne sont des moments conviviaux, de découverte de flacons qu’on ne trouvent plus et plein d’enseignements sur l’histoire et la culture vinique de l’Alsace.

La Confrérie Saint Etienne