
À Blienschwiller, le Domaine Exeterra se distingue non par son étendard ou sa communication percutante, mais par une exigence intérieure qui guide chaque geste à la vigne comme au chai. Florence et Boris Kachelhoffer, anciens citadins, y mènent un projet profondément cohérent, fait de convictions assumées mais sans dogmatisme, de gestes réfléchis plutôt que spectaculaires. À leurs yeux, cultiver la vigne, c’est d’abord apprendre à l’écouter.
Le nom Exeterra, qu’on pourrait traduire par « hors de la terre », évoque une prise de distance vis-à-vis des logiques habituelles d’appropriation du sol. Pour eux, la terre n’est pas un bien que l’on possède, mais un milieu que l’on traverse. Cette vision, empreinte de respect et de lucidité, oriente toute leur approche : il ne s’agit pas de produire à tout prix, mais de faire juste, avec le vivant et selon ses rythmes.
Une viticulture d’éveil et d’observation
Aujourd’hui, Florence et Boris cultivent 2,5 hectares de vignes certifiées en agriculture biologique. Ils pratiquent la biodynamie de manière active et quotidienne, mais sans encore revendiquer de certification. Loin d’un marketing vert ou d’une posture militante, leur choix repose sur une logique de terrain, façonnée par l’observation constante, l’expérimentation patiente, et la volonté de s’adapter à chaque parcelle, chaque millésime, chaque intuition.
Sur le terrain, cela se traduit par une gestion différenciée : certaines vignes sont enherbées librement, d’autres partiellement tondues, d’autres encore labourées avec soin. Rien n’est systématique. Tout est affaire de contexte. Le mot d’ordre est la souplesse : ce n’est pas la main qui impose, c’est l’œil qui observe, et l’esprit qui ajuste. Boris résume cette posture par une idée simple : “Ce n’est pas une méthode, c’est une relation“.
Le domaine n’utilise aucun pesticide ni désherbant chimique. La santé de la vigne est préservée par un travail rigoureux, basé sur la vitalité du sol, les préparations biodynamiques, et l’attention permanente portée aux équilibres naturels. Leur engagement est clair, mais jamais brandi comme une vérité supérieure. Florence insiste : “On ne donne de leçons à personne. Chacun fait comme il peut, avec ses moyens, son histoire, son sol“.
Le vin comme trace du vivant
Cette humilité est aussi manifeste dans leur approche du vin. Contrairement à ce que certains pourraient croire, les vins du Domaine Exeterra ne sont pas systématiquement “nature” au sens strict du terme. Florence le précise avec franchise, “Il m’arrive de filtrer quand c’est nécessaire, et je mets presque toujours une petite dose de soufre. Ce n’est pas contradictoire avec notre démarche. C’est un choix de cohérence, pas une étiquette“. Cette précision est essentielle, car elle replace leur travail dans une réalité technique souvent ignorée du grand public : vinifier sans intrants ne signifie pas refuser toute intervention, mais plutôt réduire au strict minimum, en conscience, et en respectant le vin.
En cave, les fermentations se font naturellement, sans levures exogènes. Les élevages se déroulent lentement, parfois sur lies, souvent sans filtration finale, selon les besoins du vin et les observations faites tout au long de l’année. La cave est un lieu de calme, presque monastique, où les barriques reposent sans agitation. Florence évoque des périodes de doute, de silence, où il faut apprendre à attendre, à ne pas intervenir trop vite, “Le vin finit toujours par parler, dit-elle. Encore faut-il savoir l’écouter“.
Leur gamme est réduite, mais expressive. On y retrouve un Riesling droit, minéral, tendu, non filtré mais stabilisé par un léger sulfitage. Un Sylvaner, fruit d’un pressurage long et d’un élevage en barrique, exprime la profondeur du cépage sans artifice. Tous leurs vins partagent une identité : celle d’une trace sensible, d’un millésime observé avec patience, et d’une volonté de ne jamais forcer la main au terroir.

Une vision pour l’avenir du vin
Derrière chaque bouteille, il y a un parcours singulier. Florence et Boris ont quitté la ville pour se reconnecter à la nature, mais aussi à eux-mêmes. Ils ne parlent pas de “reconversion” mais plutôt de renaissance, de transformation profonde. Le domaine est aussi un lieu de rencontres : ils y accueillent régulièrement des stagiaires, des amis vignerons, des artistes, dans un esprit d’ouverture et de transmission. Ce lien humain fait partie intégrante de leur projet.
Si leur approche peut sembler à contre-courant dans un monde viticole parfois dominé par la recherche de rendement ou de reconnaissance, elle n’a rien de marginal. Elle est au contraire une des expressions les plus cohérentes d’une tendance de fond : celle d’une viticulture exigeante, ancrée, honnête, où l’on cherche non à plaire à tout prix, mais à faire sens. Boris résume cela en une phrase, “On ne cherche pas à grandir, mais à approfondir“.
Le Domaine Exeterra ne se veut ni exemple, ni modèle. Il témoigne simplement qu’un autre chemin est possible, fondé sur l’écoute, l’adaptation, la rigueur et la modestie. À l’heure où les crises écologiques et climatiques imposent de revoir notre rapport au vivant, leur démarche apparaît comme un geste d’attention, presque de résistance, mais sans confrontation. Cultiver sans dominer, vinifier sans trahir : c’est peut-être là, dans cette posture d’accompagnement sincère, que réside la vraie radicalité.
